samedi 31 mai 2014

Célimène et Dom Juan, Swann et Odette de Crécy

La coquette de la comédie (ou de la tragédie) classique, Célimène, celle qui cherche à séduire, à ferrer -parfois vénale ou intéressée- et jette ensuite ses "victimes"... a toujours fait les choux gras de la littérature, pas forcément de "gare". A la limite, dans l'idéologie dominante (les auteurs furent longtemps exclusivement des mâles) elle est le symbole de TOUTES  les femmes. Nous vivons avec cet archétype. Sans en avoir conscience, nous devons toujours nous en démarquer: non, nous ne sommes pas "comme ça". Trop belles ? On provoque. (Certaines s'enlaidissent volontairement.) Non conformes aux canons du moment? On est imbitables. (D'autres se martyrisent pour s'y conformer.) Trop banales ? On va forcément glisser dans une des catégories, on n'en sort pas. Idem pour l'intelligence ou ce que l'on nomme ainsi. Trop brillantes ? On est d'infréquentables cuistres (dès fois que l'on oserait se moquer des choseries de mecs et en public, ça craint.) Trop connes? (Ricanements, sarcasmes, exploitation, insultes..) Moyennes ? Idem, on va selon les gus passer dans une ou autre des catégories. Trop pauvres ? On est forcément intéressées (ceci même si le prétendant l'est tout autant !) Car ce que l'on nous reproche, c'est d'être femmes, tout simplement. 

 Des Célimène célèbres, notons le, ce sont des demi mondaines -prostituées haut de gamme-

 Odette de Crécy

Et il est significatif qu'on ne parle que rarement du complexe de Dom Juan... ou de Henry VIII, (le même, la hache en plus), pourtant beaucoup plus fréquent... c'est à dire de ces hommes qui cherchent à collectionner les "conquêtes" comme on dit (!) à outrance -qu'ils couchent ou pas car souvent, les Dom Juan sont impuissants ou peu appétents sexuellement-.. et ensuite méprisent et jettent celles qui se sont laissées séduire : le double bind dans toute sa splendeur (on donne à la victime deux injonctions contraires, par exemple : obéis moi, désobéis.) Toutes, on en a rencontrés, certes pas sous la forme extrême de Dom Juan mais dans les actes cela revient au même. Une femme qui RÉSISTE -comme on dit !- est forcément enviable, le combat, intéressant, un enjeu. (Il ne vient pas à l’esprit que si elle résiste, c'est parce que le gus ne lui plaît pas.) Une femme qui "cède" (!) autre terme révélateur est une Marie-couche-toi-là, on lui inflige tout le mépris du monde après l'avoir "utilisée" -car si Marie se couche, c'est bien qu'on le lui a demandé, voire qu'on l'en a suppliée. L'amour est perçu comme un combat, une bataille qu'il faut gagner, et gagner signifie coucher -avec le plus grand nombre de femmes possible pour l'homme- et perdre -pour la femme-.. parfois accrochée à la boutonnière si elle en vaut la peine... mais rejetée tout de même, plus subtilement. Sinon, c'est "out!" avec éventuellement une baffe dans la figure si elle lambine ; on en a des exemples parfaits chez Bazin, parlant des petites paysannes que cet odieux laideron "culbutait" dans les prés et qui devaient s'estimer heureuses d'être ainsi honorées par le Vicomte.
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Une fois "acquise" (par le mariage en certains cas, ou seulement par le coït), la femme est déconsidérée, certes cela ne s'exprime plus aussi clairement à présent mais l'archétype demeure. Exemple : elle a un autre mec ? Voici le premier (l'ex qui l'a jetée) qui accourt bite en bandoulière. Elle demeure seule? ("ma vieille, tu l'as choisi".) Car ce qui intéresse les mecs dans l'idéologie machoste (je laisse!), c'est, non pas "la" femme mais l'homme ! c'est de la "prendre" à un ou des autres, si possible prestigieux... la valeur de la prise étant déterminée par celle du précédent preneur. Une fois remporté le pot, out. Toutes on connait ou on a connu cela et jamais on n'en parle -peut-être parce que, comme le viol, cela nous humilie par trop.-
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On en a avec "Un amour de Swann" (Proust) un exemple extraordinaire : ce que veut Swann, c'est Odette ? Non, pas du tout. Elle est une "pro" -une demi mondaine c'est à dire une prostituée de luxe- donc c'est facile : il est riche -et appartient à une prestigieuse côterie, celle d'Oriane de Guermantes dont il est l'intime-. Il veut LA posséder SEUL contre tous ceux qui la courtisent -elle est une sorte de star-.. et surtout contre de Charlus (1). Pour le reste, il la mésestime, la trouve sotte, futile, ridicule dans ses essais de comprendre son œuvre et même à la fin, laide -au cours de leur liaison, elle a pris du poids- bref, elle le rase.. Il ne peut travailler lorsqu'elle est là, même silencieuse. Un soir, il la renvoie. Elle s'en retourne dans dans son hôtel particulier sans regimber, elle a mal à la tête lui dit-elle et se couchera tôt, ça tombe bien -professionnellement, elle sait se faire oublier, présente mais discrète, ne protestant jamais lorsqu'elle doit s'éclipser car, si courrue soit-elle par les messieurs, elle n'est cependant jamais reçue dans leur "monde", elle n'est qu'une cocotte après tout-.. Et soudain, après son départ, il a peur : et si.. si.. de Charlus était revenu dans ses faveurs quoiqu'elle lui ait assuré? Elle s'est laissée congédier trop facilement, c'est louche... Le voilà devant son hôtel particulier.. Il se cache, se trompe de porte, dérange les voisins.. et comprend enfin : tous est éteint, elle dort en effet. Et s'en retourne. Soulagé. Il va pouvoir travailler. [Notons qu'ici on a l'union d'un Dom Juan et d'une Célimène et que la partie est égale.] Que des femmes -souvent fort intelligentes et cultivées- aient parfois opté -c'est indéniable- pour la prostitution se conçoit aisément : c'était le seul moyen de se faire respecter -d'une certaine manière-.

(1) Sa judaïté a-t-elle joué un rôle? Certes c'est Odette qui "professionnellement", l'a accroché la première, mais enfin il a flambé au delà de ce qu'elle pouvait imaginer. Proust ne le dit pas, à peine y a-t-il une allusion à l'antisémitisme dans le roman* mais Swann, comme Proust, est juif par son père et nous sommes proches de l'affaire Dreyfus. A-t-il été ébloui que la maîtresse en titre d'un aristocrate en vue tentât des approches avec lui, riche mais simple roturier, de surcroît à demi juif? A-t-il voulu coiffer des princes en la "possédant", lui seul? Il l'épousera à sa demande -réticent au début, puis conscient que le mariage est plus sûr pour garantir sa fidélité qu'une liaison, même officielle- et ce sera son/leur malheur, Odette, une fois rassurée quant à son avenir -se sentant vieillir, à trente ans, à l'époque, une cocotte est en fin de course, elle visait la respectabilité et la sécurité- elle se lassera de sa jalousie pathologique, le trompera.. et parmi les siens, tous lui tourneront le dos, y compris Oriane, son amie si chère. Mais il a eu sa revanche: il est celui qui a séduit Odette de Crécy et lui a même fait un enfant. Cependant, redite, ici la partition se joue à deux mains : Odette a probablement choisi Swann pour faire une fin, consciente que sa position n'était peut-être pas suffisante pour briguer "mieux" : aucun des aristocrates de ses amants, même amoureux, ne se serait laissé aller à l'épouser pour ne pas être banni, avec Swann, elle avait quelqu'un de bien introduit mais de marginal -lui aussi n'est parfois pas reçu malgré son appartenance, de biais, à la coterie Guermantes- ... donc qui lui allait comme un gant. Il est d'ailleurs possible que depuis le départ ce soit elle qui ait mené tout le jeu. Est-elle jalouse d'Oriane? Elle n'en dit rien -mais, comme tous les Dom Juan, elle ne dit jamais rien d'elle-même, n'affichant que des opinions convenues, en demi teintes et clichés qui ne la dévoilent ni ne l'engagent en rien..-  Mais il reste que son mariage -contre toute la coterie menée par la belle duchesse est son triomphe. Quant à Oriane, elle feindra jusqu'au bout de ne pas se souvenir du nom de celle qui lui a pris -qui l'a forcée à rompre avec -son ami le plus cher.. et lorsqu'en public elle sera obligée de la mentionner -toujours au sujet de Swann et allusivement- elle dira, faisant mine de chercher dans sa mémoire : "Oh, je crois qu'il est toujours avec...  avec cette personne, vous savez.. dont il s'était entiché" -alors qu'Odette est aussi célèbre qu'elle voire davantage.-
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* Oriane, à une parente outrée qui, faisant allusion à son amitié pour Swann, s'exclame : "Ces gens-là, moi, je n'en ai jamais fréquenté", envoie, tout sourires, faussement indignée : "Comment ! Ils n'ont pas voulu de toi?"

En poème
http://femmesavenir.blogspot.fr/2014/05/a-un-homme.html

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