Monsieur de Bargeton était élégant, de belle taille, d'un air toujours plaisant, avec un regard profond, de gros sourcils et un vaste front réfléchi, mais ce qui était surtout remarquable chez lui était son sourire. Retenu, aimable, il souriait... Lorsqu'il se tenait dans le salon où sa femme recevait le haut-Angoulême, son air amène et surtout ce sourire faisaient voir que, retenu quoique pesant tout intérieurement d'un soin remarquable, il appréciait les partis avec une attention peu commune, et, dénué de la passion qui oblitère le jugement, ne se hâtait jamais pour estimer et savait allier égalité d'esprit et droiture, indulgence et lucidité... si bien que chacun se trouvait admiratif devant une sagesse merveilleuse qui à l'inverse du vulgaire, examinait sans lassitude et engrangeait sans parti pris dans sa belle tête pensive tout ce qui lui était exposé.
En réalité, derrière ce sourire, il n'y avait rien. Monsieur de Bargeton dormait profondément. Il ne comprenait rien, n'écoutait rien, n'avait strictement aucune idée personnelle et n'éprouvait même aucun sentiment particulier en quelque occasion que ce fût. Madame de Bargeton, qui avait fini par l'apprécier, le soignait comme on soigne un manteau, le brossant, l'époussetant et l'accrochant dans l'entrée les jours de réception, et il se laissait soigner, brosser et accrocher, pleinement satisfait de son ménage, toujours égal, toujours souriant, et toujours absolument vide de pensées. Voulant tirer parti de qualités aussi exceptionnelles, Madame de Bargeton eut l'idée d'en faire un ministre et y parvint en un tournemain...
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