mercredi 18 juin 2014

La prostitution masculine de Dom Juan-Harpagyn, un tabou à pulvériser

Extrait de "Dom Juan et le syndrome de Harpagyn", à propos de l'affaire Édouard Stern: 
http://femmesavenir.blogspot.fr/2014/06/blog-post_15.html

Nous vivons dans un univers que le mythe a modelé
 pour nous et que nous prenons pour la réalité*


Nous vivons avec les mythes bien plus qu'avec la réalité ; la réalité elle même est CONSTRUITE - formée et déformée- par les mythes.. Cathartiques, jolis -ou laids mais simplificateurs et séduisants malgré leur laideur, l'image en pochoir de soi étant valorisante, "ce n'est pas moi l'affreuse c'est l'autre"- ils nous fascinent... Ils nous sont inculqués au berceau non pas au marteau.. mais par le plaisir, l'art, ou ce qui se donne pour tel, les images, les belles histoires que l'on conte aux enfants, aux petites filles en le cas... Ils s'affinent avec le temps : après le Belle au bois dormant, suivent la Comtesse de Ségur et ses petites filles modèles, Alice et son énergie sans pareille certes -mais il y a le père derrière elle, protecteur, omniprésent, riche, influent, personnage à la fois secondaire et essentiel sans lequel la jeune fille ne serait rien-.. Plus tard, la littérature elle-même prendra le relai. (Il y a quelques exceptions, des auteurs "réalistes" qui ont osé montrer les choses telles qu'elles sont, mais bizarrement, cela ne semble pas opératoire.. sans doute parce que contre le mythe de l'enfance accroché somme une tique, à l'âge adulte, ils ne peuvent faire poids.. Tout se passe comme si on voyait la réalité mais si on l'occultait en même temps et on se comportait comme si on était dans le mythe, comme un personnage idéal choisi avec quelques variantes selon les individues.) Le Prince qui libère la Belle. La mère douce aimante. La fille dévouée. La marâtre garce jalouse qui exploite les hommes et/ou détruit ses rivales, Cendrillon sauvée elle aussi par un Prince etc.. Plus tard, les mythes se durcissent, on n'est plus dans le rose mais dans le gris et même le noir. On aura la "pute", réelle ou simple méchante à la vie dissolue -mais on n'insiste pas là dessus-, parfois, dans les romans réalistes, assez sympa malgré tout à l'exemple d'Eponyme des "Misérables" -mais alors elle meurt assez vite-.. la plupart du temps odieuse cependant. Ces mythes nous forgent selon des modèles et ANTI MODÈLES, dessinant pour nous un univers falsifié, tronqué et effrayant, bardé de falaises de part et d'autres dont il ne faut pas s'approcher sous peine de s'écraser, avec des jardins ensoleillés dont il ne faut surtout pas sortir.

Celui qui est en cause ici est Dom Juan. Le séducteur, beau, brillant.. et immoral.. mais cette immoralité même est prestance fascinante, peut-être même avant tout. Il est le Prince mais le prince Noir que l'on aimerait avoir à nos pieds contre toutes et surtout contre lui-même, c'est à dire le transformer. Car à l'âge adulte, le mythe de l'enfance ne suffit plus, il faut l'adapter : le prince de Cendrillon ou de la Belle au bois dormant est sans consistance, un peu benêt. Il faut mieux. Et l'idéologie qui semble nous conduire comme un guide invisible vers.. sa sauvegarde! nous propose aussitôt Tirso de Molina (le créateur de Dom Juan). Mais les mythes s'inter pénètrent et se suivent en chapelet, fût-ce par opposition : Cendrillon ne se conçoit pas sans ses sœurs, Cosette sans les Thénardiers.. Viennent donc avec Dom Juan, d'autres mythes qui en pochoir le font étinceler davantage : le bourgeois grassouillet et sordide, l'avare, Harpagon, vieux grigou à sa cassette -opposé dans les pièces classiques à l'aristo élégant et généreux, un peu dispendieux certes mais avec panache... un Dom Juan en somme mais soft, pas fou, Molière, le roi était son mécène...- l'usurier de Dostoïevski, notons le, lui aussi hideux.. On a donc d'un coté le romanesque, la beauté -fût-elle inquiétante, transgresseuse- et de l'autre, la laideur. La prestance, la désinvolture, la masculinité flamboyante... et l'âpreté au gain égoïste, frileuse et anti virile. Réalité? Non, mythe. Et même, nous allons voir, réalité inversée. Et on tombe dans le gouffre : tous les hommes que nous percevons par la suite, nous les VOYONS à travers le mythe, nous les transformons en personnages.. et nous agissons en réplique.. comme un personnage nous aussi, mais un personnage acté devenu RÉEL, inculqué selon un modèle ou un anti modèle méprisable et horrifiant que nous nous appliquons à copier à rebours. Car nous aussi, nous nous percevons à travers le mythe. La belle au bois dormant, les petites filles modèles.. ont fait leur temps, il reste.. il NOUS reste surtout les anti modèles : la pute, la séductrice, la salope impitoyable -quoique ambiguë, du moins dans la littérature à mi chemin entre rose et noire - exemple Rachel, Rebecca.. de Daphné du Maurier, personnages inquiétants de "gold diggers" soft mais dont on ne saura jamais pour la première si elle méritait la mort que lui inflige le héros au terme de toutes les souffrances qu'elle lui a peut-être ? infligées-. Mais la littérature de Margot, elle, ne fait pas dans la dentelle, ne nuance pas, ce qui peut expliquer -cause ou effet? - que celles qui en font leur choux gras soient plus que d'autres des modèles caricaturés -tirés de ces lectures- servilement copiés. Par exemple la femme "honnête" opposée à la salope hideuse. Désuet? Non : sur les bancs d'un village occitan, récemment, une femme, se plaignant -avec d'autres- de son mari volage et exploiteur qu'elle n'avait, elle, jamais trompé, à ma question "mais pourquoi?" me répondit aussitôt, indignée : "je ne suis pas une pute, moi, je peux marcher tête haute". Notons que certaines peuvent aussi se trouver fascinées tout de même par les mythes "noirs", -la pute- effet pervers de leur omni présence partout, télé, ciné, littérature.. des mythes qui, même répugnants, peuvent tout de même représenter un modèle par défaut -lorsque tous les autres ont échoué c'est à dire ont conduit à la détresse la plus poignante-, mais ce ne sont pas la majorité.. et elles sont alors disqualifiées : des putes en effet, réelles ou virtuelles.

Et nous voilà piégées. Piégées donc par le mythe. C'est à dire en sous main par l'idéologie. Dom Juan est AUSSI Harpagon -et on refuse de le voir car perdre ses rêves est plus cruel que perdre un homme-; la "salope", la pute, notre anti modèle n'existent pas comme telles : elles ne sont que des victimes exploitées.. Rodrigue, qui l'eût cru? L'idéologie qui retourne tout par transfert nous fonde à accabler des esclaves et nous applatir devant les maîtres, et par contre coup à adopter des comportements illogiques, aberrants et mortifères. C'est celle-là d'abord à qui il faut tordre le cou. Go!

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L'idéologie inverse les prédicats d'une manière diablement efficace, et le système, à l'aide de romans/films roses, de faits-divers plus ou moins bidouillés.. l'illustre de façon agréable.. On est bien dans la Caverne! Ce qui est en cause ici est, dans les milieux bourges convenables, la situation respective des jeunes filles et des jeunes hommes... et le syndrome du, non, de LA gold digger... institutionnalisée.

Dans ces milieux (fric-banque-bourgeoisie-Morale) ce sont les jeunes hommes et non -ou moindrement- les jeunes filles car à eux il ne sera jamais rien reproché sauf s'ils exagèrent- qui sont éduqués dès l'enfance à être des Dom Juan gold diggers, des "Harpagyn".. (Même dans d'autres milieux, le canevas leur est tendu qu'ils peuvent ou non saisir pour le devenir).. On le voit si on y grenouille un peu : des bourgeois en pleine déconfiture compteront sur leur/s fils pour sauver le clan, pas ou très rarement sur leurs filles -ce serait honteux-... le transformant alors sans la moindre gêne en gold digger. Il a besoin d'argent pour le clan et/ou pour démarrer, il lui faut une femme riche. Cela lui est ouvertement ordonné. L'exemple de la Sévigné engueulant en termes "moraux" son petit fils amoureux qui, malgré sa dot confortable, refuse la fiancée qu'on lui a dénichée! est révélateur : "inconséquent, ingrat, égoïste, mauvais fils !! et vos parents, vos sœurs, la toiture du château à refaire, y pensez-vous seulement?" Donc dans ces milieux garants de la Morale et la fondant, les deux attitudes -prostitutionnelles- pourtant identiques, selon le sexe des acteurs, ne sont pas pointées de manière équivalente -et même, nous allons le voir, le sont à l'opposé- ! (les termes "pute" ou mac non plus ne sont pas équivalents et finalement cela se retrouve ici aussi).. Se servir d'une fille serait la "vendre"-donc déshonorant- mais d'un garçon, c'est normal car par son sexe, il ne saurait être vendu, il n'est pas une marchandise! (1) => c'est dans la logique des choses. Cela peut expliquer -cause et conséquence- pourquoi dans ces milieux un fils est toujours préférable à une fille. Exemple, des parents riches consentent voire suscitent pour leur filles des mariages ostensiblement d'intérêt -la plupart du temps, le deal est clair et il arrive qu'il y ait marchandage-, soit qu'ils n'aient pas conscience de l'abaissement qu'ils lui infligent et du risque qu'elle court, soit qu'ils comptent sur le futur pour faire fructifier l'argent qu'ils lui apportent, cf Saccard dans "La curée" soit les deux (2). Par contre une fille qui se marie sans dot -du reste, la plupart du temps, elle n'y parvient pas (3)- est considérée comme une intrigante dégourdie qui a usé de ses charmes pour ferrer un benêt -donc une pute- et ses parents, mésestimés... C'est simple : un garçon qui se marie avec une fille richement dotée est dans la droite ligne quelqu'un "qui a réussi" et sa femme, une épouse respectable. Il ne faut donc pas s'étonner de ces "choix" qui s'inscrivent, d'un coté dans la laudation discrète des deux parties et de l'autre dans leur péjoration absolue (un "réussi"+une honnête femme, normal.. contre une gourgandine+un benêt, anathème!) il n'y a pas photo. Voir "Othello et Juliette" extraits http://femmesavenir.blogspot.fr/2014/06/extraits-othello-et-juliette-in-le.html
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* Adaptation de la formule de Chomsky: "Nous vivons dans un univers que le langage a modelé pour nous"

(1) Le prétexte donné est que lui va travailler -il s'agit d'un investissement- et non elle -inexact bien souvent à présent, ce qui n'empêche que le mythe perdure!- et dangereux.
(2) Il n'y a aucune garantie que le mari s'acquitte de sa part du deal : il peut fort bien, sans aucun contrôle, "investir" (ou dilapider) l'argent de sa femme dans des affaires dont elle ne saura rien, le faire fructifier ou le perdre, et la rejeter ensuite -comme Saccard qui fait enfermer Renée en asile psy lorsqu'elle veut divorcer.. et éventuellement récupérer au moins une partie de son argent. Entre temps son père est mort, Saccard, richissime, est devenu hors d'atteinte : même fille de famille, elle ne fera pas le poids.
(3) Ce fut l'histoire de deux femmes célèbres, Marie Curie et Simone de Beauvoir. Amoureuse d'un jeune homme de bonne famille -et réciproquement-, Marie fut blackboulée par le clan du Roméo qui n'osa aller contre le veto... (nous devons donc indirectement à cet abruti la bombe atomique : s'il l'avait imposée aux siens, Marie, qui n'était pas au départ une féministe -ni même ensuite, contrairement au cliché- se serait sans doute trouvée heureuse dans sa Pologne natale avec l'homme qu'elle aimait, prof, instit ou femme au foyer, entourée d'une nombreuse nichée)... et de même Simone de Beauvoir raconte-t-elle savoureusement que, au cours d'une garden party où, malgré la récente gêne des siens, elle avait été invitée -par le fils de l'hôtesse avec lequel elle jouait au tennis- celle-ci la prit d'emblée à part pour la prévenir qu'en aucun cas son fils n'épouserait une fille sans dot. 
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LE DOSSIER "Le complexe de Dom Juan"
http://femmesavenir.blogspot.com/2014/06/quand-deux-hommes-se-battent-pour-une.html 

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