Mais ce n'est pas du Pagnol, ni du Giono !
L'avarice est une passion qui en certains cas l'emporte sur toute autre, même sur les liens amoureux, affectifs, familiaux, voire sur l'image de soi -peu importe à l'avare de se dégrader publiquement jusqu'au ridicule du moment que l'argent est en jeu-. L'avare a rarement mauvaise conscience, bien que, devant l'exaspération ou la moquerie qu'il suscite, c'est à dire lorsqu'il ne peut faire autrement (il est souvent à la limite de la légalité), il se justifie en invoquant, en proclamant la Vertu (sa vertu) et la Morale (sa morale) : c'est souvent un donneur de leçons en toutes circonstances même les plus évidemment sordides. Et sa passion en fait un tyran domestique qui détruit la vie de ses proches et surtout de ses enfants (confort minimum, existence restreinte, faim, vêtements ridicules, hygiène lamentable etc.. ) Ceci est l'histoire de maltraitances gravissimes reliees à l'avarice d'un homme au dessus de tout soupcons!! ayant entraîné : un internement psy de longue durée ; un suicide ; et une infirmité permanente chez trois de ses victimes. Trois femmes, la mère et les deux filles.
Sonia est la seconde et dernière fille (non désirée, elle ; sa soeur a dix ans de plus) d'un père avare pathologique. Toute son enfance, adolescence (en fait jusqu'à ce qu'elle fût en mesure de gagner sa vie).. elle dut porter les vêtements de son aînée, déformés, usés à la corde (celle-ci les tenant aussi de quelques dons du Pasteur, ami proche du père, lui, instituteur) de surcroît trop petits, (Cathy étant plus mince et plus grande).. qui en faisaient la risée du lycée : personne ne voulait s'asseoir à ses côtés à cause de la légère mais désagréable odeur qu'exhalaient ses magnifiques cheveux jamais coupés, épais, frisés, (le savon même lui étant compté, le shampoing, totalement inconnu.. quant au coiffeur, inutile d'en parler.) À l'internat, (ses parents avaient trouvé plus économique de l'y laisser, comme ils l'avaient fait pour son aînée, ceci depuis la 6ieme, leur bourse comprenant en partie leur nourriture) elle en était réduite à se laver à l'eau (gratuite!) et à récupérer des tubes vides qu'elle prolongeait avec un peu d'eau chaude (gratuite aussi!) Insuffisant pour la lessive et pour sa crinière. Elle était aussi réduite bien souvent, malgré son orgueil, à accepter la charité de copines (mais l'habitude fait nature.)
Le père était la Bonne Conscience incarnée ; il n'avait jamais un mot pour se justifier... bien au contraire, il donnait en permanence des leçons de modestie à tous (invoquant les principes moraux protestants, ses inaltérables phares).. non seulement à Sonia.. mais à ses amies, y compris à celles à qui elle était redevable (!).. soit de vacances (gratuites) chez elles, (il essayait autant que possible de la laisser au lycée pour Noël et Pâques, mais il arriva que cela lui fût refusé et qu'elle dût demander à des amies de l'accueillir).. soit de l'avoir véhiculée (gratuitement bien sûr !) chez eux.. etc etc
C'est ainsi qu'il me fut donné un jour d'hiver ou d'automne de rencontrer ce sinistre personnage. C'était un samedi ; je l'avais raccompagnée chez elle, 35 km (mais je revenais de Montpellier, ce qui en faisait 200) : il n'y avait plus de cars, ou bien elle l'avait raté, ou encore ce trajet n'était pas compris dans le forfait de sa bourse d'études, je ne me souviens plus.
Nous arrivâmes vers 6 heures ; un petit bonhomme chapeauté montait vivement les marches, chargé. C'était lui. Elle l'appela joyeusement. Il se retourna, puis me vit, stupéfait ; il me toisa, sans un mot... Sonia fit les présentations. Elle m'expliqua ensuite qu'il était très myope et dévisageait toujours les gens de près pour seulement les voir. De plus, il faisait presque nuit. Soit. Myope mais pas muet? Loin s'en faut. Malaise.
Nous montâmes à sa suite... La mère, une pauvre femme beaucoup plus jeune (et plus grande) que lui, qui avait dû être belle autrefois ne comptait pas.. (Issue d'un milieu de paysans pauvres, peu instruite, elle avait été servante en ville et avait cru en l'épousant faire un beau mariage avec un homme cultivé, courtois, gagnant assez bien sa vie et non dépourvu. Et en un sens c'était vrai, mais...) Salutations un peu froides, étonnées, embarrassées..
Le père, sans prêter davantage attention à Sonia et à moi, vérifia longuement la note des commissions, dont une partie revenait au pasteur son voisin, car ils faisaient les courses à tour de rôle ("il faut le faire tout de suite sinon on oublie") et il consigna tout sur un carnet que lui tendit sa femme, qui partit aussitôt, chargée, avec un papier.. ("Ça fait 36 Francs et 13 centimes" lui précisa-t-il plusieurs fois.) Puis ce fut mon tour (d'être vérifiée? En quelque sorte!)
Comment étions- nous arrivées? Avec ma voiture? La dauphine rouge, garée en bas, qu'il avait cru celle d'un invité de Monsieur le Pasteur était donc mienne ? Je dus me justifier. Oui. Mon père a une auto-école, des voitures, on en a plusieurs.. Il s'exclama, réprobateur et à la limite impoli, "qu'il trouvait discutable qu'à 18 ans à peine, je disposasse d'un véhicule (!) même si j'étais en fac, moi .. une dauphine surtout (à la mode à l'époque) lui qui se contentait d'une vieille 2CV.."... À quoi je rétorquai sèchement que sans cela Sonia eût dû rester à l'internat. Suffoqué de mon aplomb, il me lança qu'il se serait bien passé d'elle, elle devait réviser et se trouvait bien mieux au Lycée qu'à baguenauder dans la montagne. Puis il réfléchit un peu, fort mécontent que je l'eusse contraint à nourrir sa fille deux jours ("alors que la cantine est déjà payée")... mais, désireux de se montrer juste, correct, ses mots clef! (!) il observa, comme en pensant à voix haute, comme pour lui-même, travers dont il était coutumier m'avait dit Sonia.. "qu'avoir fait 70 km, bien qu'en aucun cas cela ne m'ait été demandé, ni l'une ni l'autre nous n'étions attendues .. (il sous entendait que j'avais commis un impair en m'imposant chez "lui" sans avoir été sollicitée et sans même l'avoir prévenu, mais il n'osa pas le formuler directement sentant que, prête à bondir, j'aurais du répondant !).. bref, il fallait s'y résoudre en bon chrétien, le Devoir est le Devoir, cela malgré tout "valait" bien un repas, incontestablement, de retour de Montpellier, j'avais "poussé" jusqu'à l'Estramadou pour complaire à celle-là -il n'appelait jamais Sonia parvson prénom-, même si, voulant bien faire.. etc etc.. " Cette fois, je me marrais. Il était bien tel qu'elle me l'avait décrit, pire même.. Je pensais qu'elle exagérait mais non. Je pouvais même prévoir la suite. Instituteur en plus, ce qui aggravait le cas.
Puis, il y eut le faux sourire attendu, le soupir indulgent et sonore qui disait : ces jeunes!! Ces enfants gâtés, ces mécréants papistes qui ont déjà une voiture à 18 ans! et s'en vantent, arrogants et idiots en plus, osant vous répondre sans baisser les yeux que sinon je n'aurais pas eu le plaisir d'avoir "celle-là" pour deux jours (!) .. Bon..
Et sur un signe, sa malheureuse femme ouvrit la fenêtre (ils n'avaient évidemment pas de réfrigérateur), sortit ou plutôt rentra un plat de deux ou trois petits boudins assez peu engageants et le mit sur la cuisinière à bois, ne l'ayant rechargée qu'après un regard vers le Maître des lieux qui, d'un signe encore, consentit à cette dispendiosité inaccoutumée, "ce n'est pas tous les jours que nous avons une invitée, et de marque! avec voi-ture !! -ricana-t-il- on ne va pas la faire attendre !".. "D'autant plus que, comme je ne savais pas, mais ce n'est pas un reproche ! -ajouta la femme, plus gentille que lui- je n'ai pas prévu d'entrée, je suis désolée." (Malgré son aspect, le boudin sentait bon pourtant.) Et il éclata de rire, d'un rire faux, insupportable, que j'entends encore : "Quand il y en a pour deux, il y en a pour trois, n'est-ce pas? et quand il y en a pour trois, un de plus ne fait pas, enfin pas trop ! de différence!" Sonia était mortifiée, je voulais partir mais elle insista tant que je restai tout de même. À 18 ans, nous aurions mangé seules quatre plats comme celui-ci voire davantage encore pour ce qui me concerne.
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Épilogue : sa femme* devint "folle" (suicidaire, clastique, parano) -elle avait tenté de lui échapper en se faisant engager comme "fille" (!) au pair en Angleterre, mais il avait réussi à la convaincre de revenir, qu'allait penser le Pasteur? Les parents d'élèves ? Le Maire et ami?- ; la soeur aînée se suicida ; et Sonia, non soignée dans l'enfance pour une maladie d'yeux qui aurait été curable si on s'y était pris à temps, devint presqu'aveugle à 30 ans... mais fit une belle carrière (de... psychiatre !!!)... après des privations infinies durant ses études, (elle était habituée !!) se nourrissant au restau "u" ou en cas de manque, de pâtes au sucre et autres horreurs, (elle revendait ses tickets pour acheter des livres) travaillant l'été, ne dormant que trois heures par nuit etc.. A la mort de son père (il mourrut fort âgé, lorsqu'elle avait enfin fini ses galères).. elle hérita une petite fortune, devint belle à 50 ans (mais quasiment aveugle) trouva le courage de faire enfin refaire sa denture pourtant saine (ses dents avaient poussé de travers sans que ses parents ne s'en soucient et ce qu'il eût été aisé de corriger alors était impossible à présent, à moins de tout scier..) et passe actuellement sa vie en voyages et séjours dans des hôtels confortables voire luxueux du monde entier, avec quelques amis, beaucoup plus jeunes qu'elle parfois, ce qui ne la gêne en rien (moi, si.) Une jeunesse. Trop tardive. Cet homme, son père, est un assassin.
* La malheureuse, à ce point anéantie par son mari, sans cesse contrôlée et sur tous les plans (un avare est souvent aussi un jaloux : il craint de perdre, et perdre sa femme c'est aussi perdre son argent -s'il se doit par exemple de lui verser une pension- !) la malheureuse donc, qui le blâmait ouvertement à cause de la naissance de Sonia, due à son avarice, il utilisait toujours le même préservatif qu'elle lavait et faisait sécher comme une paire de chaussettes, (Sonia en riait avec nous en nous comptant l'histoire) son leitmotiv étant "tes économies de bout de chandelle, ça nous a coûté drôlement cher avec celle-là !" en montrant Sonia du doigt .. la pauvre femme finit pourtant, par mimétisme, croyant que c'était le must de l'éducation bourgeoise, par devenir presqu'aussi avare que lui -plus avisée cependant-.. si bien que Sonia éprouvait pour elle une sorte de mépris doublé d'aversion, (l'éternelle histoire du préservatif !) plus encore qu'envers son père. Injuste mais impossible à réduire malgré sa formation! qui eut dû l'éclairer sur le vrai responsable de ce naufrage familial. Si bien qu'on a là l'exemple-type d'une victime devenu bourrelle, et pire, de deux victimes incapables de prendre conscience de leur situation et se haïssant entre elles tout en épargnant relativement l'assassin de leur vie. Que l'une fût psychiatre donne toute la mesure de la puissance de ce sentiment, qui surpasse la connaissance et même la philosophie. SAVOIR N'EST PAS RESSENTIR.
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