mercredi 1 janvier 2014

Tel que, extraits d'une biographie de Victor Khagan, abusé et maltraité.. A lire par morceaux !

"CHER QUI ?   II      (Quarante ans après..)

Lorsque trois adultes savent réciproquement de leur existence et de la maltraitance qu’ils exercent contre un enfant, psychologiquement et physiquement, d’une part, affectivement d’autre part, et sexuellement pour le troisième,  et qu’ils sont donc ainsi tacitement complices des destructions qu’ils exercent individuellement et en connaissance de cause sur cet enfant, le meurtre psychique est, de manière hallucinante, bien défini.

Dès l’âge de 4 ans, victime de violences physiques, je vivais dans un climat de terreur qui n’est allé qu’en croissant, du fait d’avoir une maman qui, de par les abus subis dans l’enfance, refusait de toucher, d’embrasser puis, surtout, de protéger son fils.

Je suis le fruit d’une « prostitution par contrat » : ma maman qui aimait déjà un autre homme, a cru devoir respecter l’exigence, de son mari, de lui faire un fils…  Lorsque j’ai lu Hervé Bazin, j’ai découvert ma maman dans les traits de son héroïne, Folcoche. Ma mère était Folcoche.  J’ai dû grandir avec ça : abandon affectif, refoulement et interdiction des sentiments : nos sentiments étaient interdits car les siens lui étaient interdits !

Cette errance qui est ainsi très tôt devenue mon CV, m’a alors conduit à la portée d’un prédateur sexuel.  Était-il le premier ?  Il ne sera pas le seul…  J’avais huit ans, j’étais un petit garçon maigrelet et mal habillé, soumis dans la crainte et en recherche constante d’un sourire qui me confirmerait la valeur de mon existence. Un des nombreux psychologues ou psychiatres consultés au long des années me disait : « Un enfant, même à huit ans, n’accepte pas une agression sexuelle s’il n’a pas déjà vécu, de la part d’adultes ayant autorité, un climat incestuel.. ». Me concernant, il n’avait pas tort.

Quatre ans après, des circonstances me permettent de dévoiler l’abjection subie mais le criminel - qui avoue - n’est ni puni ni suspendu ni expulsé ni jugé : il continuera son œuvre maudite.  Ce monstre est protégé par d’autres monstres, assassins de l’Enfance, liés à l’Église.  Quant à moi, je tombe malade et je manque l’école durant trois mois. Mais ma maladie n’a pas de nom, elle est niée.  Comme le sera ma TS beaucoup plus tard, à l’âge de 18 ans.

Mes souffrances ne sont pas reconnues, elles ne seront donc pas traitées.  Je deviens une tête de turc, l’enfant « responsable du malheur de ses parents ».  Les coups continuent de pleuvoir; les humiliations, avec leur négation vitale, baignent mon développement et mes espérances d’adolescent.

Vers mes seize ans, je tombe amoureux d’un sourire féminin qui éclaire les rues mal pavées du chemin de l’école.  Mais Folcoche veille ! Elle distille son venin, empoisonne à nouveau mes illusions vitales.  Selon elle, je n’aurais jamais été capable de l’aimer toute une vie, je la rendrais malheureuse…, et toute une litanie de propos destructeurs de cet acabit. C’est un jeu pour elle d’insinuer en son « petit garçon » le doute de lui-même, sans le moindre scrupule. Elle se fait aider dans son entreprise par un petit comité.  Je me laisse à nouveau piétiner. Son truc, c’est le culte de la personnalité.  Nous devons la vénérer, l’adorer, justifier son existence à elle, par notre dévouement total à sa défense, notamment face à notre géniteur et à la famille de ceui-ci, tournée en ridicule.  Et une liste de phrases, entre manipulatrices et déchirantes, nous sont inlassablement serinées : « Vous ne savez pas ce que j’ai souffert !  Vous verrez, quand je serai morte ! Ne venez pas avec de grands mots ! Dites-le, si vous l’osez, que je suis une mauvaise mère ! »

Et c’est vrai, elle a souffert. Nous en sommes convaincus et nous la vénérons comme une déesse : elle est belle, elle est notre mère, tout doit être constamment fait en son honneur, pour la rendre heureuse : nous sommes des enfants parentalisés mais nous l’ignorons. Ses frustrations de femme, ses hurlements hystériques, ses jalousies maladives, ses critiques acerbes envers les femmes  souriantes, sa négativité à propos de tout et de rien, ses airs hautains et dédaigneux, sa froideur, son orgueil, ses exigences capricieuses, ses absences continues de la maison ne nous choquent pas : elle a tous les droits, nous lui devons tout. Nous acceptons les punitions sûrement méritées,  c’est elle qui fixe les normes, qui nous enseigne ce qui se fait, ce qui peut se faire, se dire, comment paraître.  Elle force l’admiration en nous montrant comment acquérir le goût, le savoir-vivre, le savoir-faire, comment nous tenir.  Elle nous montre que nous ne sommes rien si ce n’est par sa grâce, que nous ne savons pas nous comporter, que nous sommes mal-élevés, gros, ingrats.  Nous n’avons pas d’argent de poche et nos petits camarades ne sont pas bienvenus à la maison.

Nous ne connaissons pas l’harmonie de l’amour qui n’a pas ses droits chez nous ni non plus sa vérité, d’ailleurs : nous baignons dans le mensonge à propos de tout mais les menteurs, selon elle, c’est nous, c’est moi. Pour un oui ou pour un non, j’ai droit à des interrogatoires serrés : quels ont été les mots prononcés, les faits, etc.  Donc, je mens. À partir de là, mon errance se transforme en vagabondage. Le poison fait son effet : « alimentez-le de poison, il reviendra s’en nourrir ! »

Depuis l’âge de douze ans, je ne suis plus qu’un enfant perdu. Avant, toujours dans les six premiers de la classe, voici à présent que je ne réussis plus jamais une année scolaire. Ma mère se détourne de moi car l’enfant pré-érotisé la dégoûte. Le sexe la dégoûte.  La masturbation est un péché mortel et elle a des soupçons.  Que son fils ait besoin d’aide, ça ne lui effleure même pas l’esprit.  Lorsque, adulte, je lui rappellerai ces années, elle s’en froissera et me mettra à  la porte.  Ce qui la gêne, c’est que son rejeton ne brille pas par ses résultats scolaires, qu’il lui fasse honte devant ses amies.  L’enfant bien obéissant devient peu à peu un rebelle renfermé qui assume une marginalisation généralisée. Je plonge doucement, à partir de la honte, dans la tristesse, dans le désarroi. Incapable de mettre des mots sur mes états d’âmes, je perds toute confiance dans les adultes.  Je les crains comme la peste, je comprends qu’ils sont dangereux pour ma survie. J’apprends la stratégie du bouclier.

Surtout depuis que ces deux autres camarades d’enfance, victimes du même prédateur,  sont virés de l’école catholique et que mon tour arrive pour le même motif : « homosexualité avec un professeur ».  C’est le comble ! Mon géniteur ne m’a pas défendu, il est d’accord avec « ses chers pères jésuites » : son fils unique est un enfant vicieux !  Pauvre papa si déçu du fils que la Vie lui a donné !!!  Plus tard, il me reniera par trois fois, comme son fameux St-Pierre…  Il s’agit maintenant pour moi d’apprendre à résister.

Peu à peu, la solitude crée autour de moi un no man’s land. Certains condisciples commencent à m’appeler « le fou ». Je ne peux leur donner tort : je n’ai plus de repères, tout s’effondre autour de moi !  L’image de mon amour interdit, Annette, oblitère mon cœur et me ferme une sortie vers la lumière d’un sourire susceptible de me réconcilier avec l’existence, avec l’espérance…  C’est une énorme culpabilisation maintenant qui va, comme un cancer, étendre ses polypes dans toutes mes fibres. 

Je culpabilise envers Annette à qui j’ai confié mon amour, je culpabilise pour ces sottises religieuses dans lesquelles j’ai été conditionné par des irresponsables : leur concept imbécile de péché mortel, état dans lequel je vis puisque je suis un survivant du viol (je serai excommunié), adolescent tourmenté par une sensualité morbide, hanté par le plaisir mécanique ressenti lors des agressions veules. Personne ne m’embrasse, ne me tient dans ses bras, ne me rassure sur le fait d’être aimé.

Cette culpabilisation, cette condamnation au rejet fait encore partie de moi aujourd’hui et continue de me démolir, psychiquement et physiquement. Je culpabilise pour les échecs qui s’accumulent, je culpabilise pour avoir déçu mes auteurs auxquels me rattachent viscéralement les liens fondateurs de mon être-au-monde. Je culpabilise car je suis un incapable, un nul comme disent aujourd’hui les jeunes. Il faudra longtemps avant que j’apprenne que ces bourreaux me culpabilisent eux, pour justifier leur mensonge, pour asseoir une autorité fasciste, pour se faire valoir en société : leur fils a mal tourné, ils sont bien à plaindre…

Je me fais valoir par des coups d’éclat, par ma rebellion : je me fiche de tout, je crâne, plus rien ni personne ne me fait peur, je brave les autorités.  Mais au fond de moi, le venin et le poison font leur œuvre : d’exaltations en désespérances, je perds toute foi, en ai-je jamais eu une au fond de moi, depuis les coups et les viols ?  Mes bravades m’attirent l’admiration de quelques condisciples tandis que les années scolaires perdues, encore et toujours, me discréditent sur tous les fronts.

Je rêve d’une famille, je rêve d’enfants que j’élèverais dans l’Amour.  J’idéalise l’Amour. Mon épouse, rencontrée une première fois lors de mes 20 ans, me le reprochera un jour : mon idéalisation la gêne. Mais elle aura surtout honte d’être l’épouse d’un survivant de la pédocriminalité : « Est-ce que je n’aurais pas dû savoir ça avant de t’épouser ?  Tu es asocial, un danger pour nos enfants ! »

Je lui ai caché que j’avais sombré dans l’alcoolisme après cette tentative de suicide bâillonnée de mes 18 ans. L’alcool qui venait désaltérer l’indifférence d’un cynisme naissant, le désert des sentiments écrasés, l’assassinat de mes espérances les plus naturelles et vitales, les plus minimes, une dignité tuée dans l’œuf, le moindre de mes droits humains, de mes droits d’enfant.

Mais l’alcool a disparu de ma vie pour toujours et le tabagisme aussi.
Pendant quelques années où je me suis mis à travailler manuellement, j’hésite devant l’alternative de la haine qui me prend aux tripes et qui n’est que la naissance d’une colère légitime, une revendication qui ose pointer le bout de son nez sans se définir vraiment.  Je méconnais la nature de mes blessures, je méconnais leur profondeur et le dommage qui va ruiner ma carrière de vivant.  Je me rabats sur la littérature et dans le communisme.  J’apprends la pensée, la philosophie, le nihilisme, l’existentialisme.  Je découvre la misère humaine, l’existence de la prostitution qui me hante dans le souvenir de mon avilissement précoce mais ancré au plus profond de mon psychisme, dans la mémoire de ma valorisation comme corps objet des satisfactions bestiales d’esprits tordus.

Puis, surprise  ! Un mariage longtemps convoité se concrétise soudain. L’amour me tombe dessus sans prévenir : tout s’arrange, je suis le fils prodigue pour lequel on tuera le veau gras.  On m’habille, on me recommande, j’ai une fiancée exquise et c’est là tout mon nouveau mérite.  Une solution heureuse qui arrange tout le monde. Il semble que me voilà devenu « un homme » digne de ce nom. Les cérémonies du mariage rappellent le ban et l’arrière-ban, le blason familial s’en redore, apparemment.  Je me laisse séduire par ce mirage.

L’arrivée de nos enfants me donne un courage que je ne me connaissais pas. Je travaille comme vendeur et je gagne bien ma croûte, j’en veux.  Mes tourments sexuels et ma vie nocturne sont loin : je crois au bonheur même si mon couple émet des signaux d’alarme que je ne veux pas exagérer.  Pourtant, mon épouse ne croit pas en moi : elle s’allie avec mes parents, elle ne s’en vantera que bien des années après.  Car elle n’est pas portée aux confidences.  Je lui propose de nous rendre chez un conseiller conjugal : « Va le voir toi, le psy, moi, je ne suis pas folle !! » C’est la douche froide mais je m’accroche. Alors, de nouveau, le fanion de la victoire repasse du côté des géniteurs.  Le règne du mensonge reprend du terrain.  Le petit garçon qui souriait béatement lorsque les sentiments lui étaient interdits, retrouve sa place dans le déséquilibre et la déstabilisation.  Mais j’ai deux enfants qui ont pris la place d’une ancienne religion : je vais me battre contre toutes et contre tous pour un rôle de père qui est devenu tout mon ressort, toute mon idéologie, celle de l’amour pour ces êtres fragiles et dépendants.

Don Quichotte, je m’emballe au creux du tsunami qui ravage mes projets de bonheur. Je pleure. Je pensais n’avoir plus de larmes et voilà que je pleure. Tous les jours, je sanglote devant tant d’indignité, cela dure des mois.  Je suis envahi de migraines ophtalmiques. Je bats le pavé, je fais du porte à porte pour retrouver un job mal payé.  J’ai des dettes.  Je redeviens cet indésirable que personne ne comprend, ne tolère.  Je vis dans une pension où je partage une chambrette avec un alcoolique qui rentre ivre toutes les nuits.  Je n’en ai cure, ça me connaît.  J’ai assez voyagé, de nuit, dans les « bas-fonds ».

Je ne compte pas mes heures, je tue ma solitude.  Je ne m’apitoie pas car mon quotidien s’est libéré de ces personnes dominatrices ou manipulatrices.  Là, au plus bas, je trouve cette assurance qui m’a manqué toujours.  Je forge des rêves et je les construis.  Je ne compte que sur moi-même, je ne suis plus dépendant.  Et cela fonctionne.  Je deviens traducteur, je donne des cours particuliers.  Je porte une cravate et je souris patiemment.  Les offres de travail se présentent avantageuses et, lentement, mon statut s’améliore.  Je déniche un petit appartement où je peux recevoir mes enfants que j’assiste dans leur scolarité. Notre complicité est vivante, belle et joyeuse. Mon fils devra attendre l’âge de 14 ans pour venir dormir à côté de son papa, l’âge légal. Ma fille décide de « ne pas abandonner sa mère ». Qu’importe, nous pouvons enfin nous offrir une semaine de vacances à la mer, à nous trois !! J’apprends à rire de bon cœur…

La destinée m’offre quelques années de prospérité qui me permettent de me remettre à flot. De m’acquitter de mes obligations familiales, de m’offrir un véhicule. Imprudemment, j’ai quelques aventures féminines mais, restant vigilant à l’intérêt prioritaire de mes deux vrais amours, je ne me laisse pas entraîner : il n’est pas question de blesser davantage mes chers petits.

Entre temps, convaincu par le livre de Susan Forward (Parents toxiques), je renoue par le biais  épistolaire avec la grand-mère de mes enfants.  Irréelle entreprise, invraisemblable challenge. La fratrie et mon géniteur réagissent très mal à ces tentatives maladroites, interprétées comme des « assauts ».  Je leur envoie les enfants durant l’été, me privant de mes vacances avec eux, afin de ne pas couper les ponts entre les générations. Je mets ce temps à profit pour travailler encore.  Je monte une petite société, je m’installe.  Avec ma famille parentale, tout ne sera jamais que malentendus et quiproquo, éternellement.
Les années coulent et les enfants grandissent. Ils passent avec succès et sérénité les examens annuels et je prends conscience de l’importance d’encourager des enfants pour les mener au succès. Je n’oublierai pas cette leçon et chaque jour, je les rassure de mon amour pour eux. Le ménage brisé leur cause néanmoins des difficultés relationnelles mais ils les surpassent peu à peu et ils arrivent à l’université en pleine maturité.

Je m’inquiète mais sans motif car ils ne manquent pas une seule année. Ils s’épanouissent, ils font du sport. Ils vivent leur jeunesse et s’amusent.  Ils relèvent les défis comme autant de jeux.  Ma vie est presque comblée, je me détends. Nous faisons l’un ou l’autre voyage et c’est une telle fierté pour moi, un tel bonheur de m’amuser avec eux, …ces ballades, ces moments estivals, ces randonnées, ces sorties nocturnes à trois.

Les épreuves ne sont pas finies : chaque jour, tout est remis en question.  Un jour, au cinéma, je visionne un long métrage qui me laisse une saveur amère, sans la comprendre, sans faire les liens.  Un peu plus tard, avec mes deux trésors, nous regardons un film à la télé : un père déjà grand-père est pris sur le fait au moment d’agresser sexuellement ses petites-filles et les mamans, très tardivement,  prennent conscience alors que leur père les avait également agressées dans leur enfance. Je suis pris de sanglots et je vais me cacher dans les toilettes pour ne pas impressionner mes loupiots. Puis, troisième étape, je regarde par hasard un reportage sur TV5 : des enfants victimes et leurs parents honnêtes viennent y témoigner de ce qu’ont représenté pour eux le fait de subir des agressions sexuelles répétées.

Là, l’éclairage est trop brutal : je suis dévasté !! J’appelle immédiatement ma fille et mon garçon, les jeune adultes qu’ils sont comprennent immédiatement de quoi il s’agit. Heureusement car, le lendemain, je tombe en dépression nerveuse clinique, de façon foudroyante…  J’ai pris la mesure de la tare avec laquelle je vis, greffée en moi comme une munition à fragmentations.  J’avais été coupable de tout et, de façon foudroyante, mon statut de victime tarée m’est révélé. De nouveau, je vais tout perdre : travail, estime de moi-même, appartement, cap, identité, entourage.  Je ne veux pas que mes deux chéris me voient dans cet état et je m’en éloigne. Leur appui est inconditionnel, leur tendresse reste constante mais ils doivent vivre leur vie sans la charge d’un père malade.

Je vais toucher des subsides de demandeur d’emploi et retrouver des chambres à louer. Désormais, je ne serai plus jamais capable de partager une vie intime avec personne. Ma reconstruction va durer des années dans la précarité, dans la résignation. Mais il n’est pas question de « démissionner ».  Inspiré par un premier psychiatre, je commence une tâche infinie : reconstituer l’historique de mon cheminement sur cette terre, date de naissance, arbre généalogique, reconstitution des faits.  Je découvre les assos de soutien aux victimes.

Durant leurs réunions, je redeviens le petit garçon d’autrefois : j’écoute incapable d’ouvrir la bouche, de me forger des opinions, je ne sais plus qui je suis ni dans quel monde je suis tombé. Les récits hallucinants de la pédocriminalité organisée me stupéfient.  J’apprends la condition féminine.  Je commence à lire et je me mets à écrire, peu à peu, des nouvelles puis des romans.  Pour l’asso, je pars en mission d’appui pour d’autres victimes comme moi : présence de soutien dans les tribunaux, présence à des conférences avec prises de notes, présence à des manifs, présence dans des comité de soutien, accompagnement en consultation chez des juristes, chez des psychiatres, etc., etc.

Durant de longues années, au milieu d’elles et d’eux, j’apprends et je découvre, stupéfait,  des réalités que je côtoyais depuis l’enfance sans les identifier vraiment : la corruption généralisée, la lâcheté politique, les mœurs dissolues, l’étendue des réseaux, le silence autour des crimes, les tortures et les meurtres d’enfants et de toutes jeunes filles, les manipulations dans la presse, l’omerta, l’implication des « hommes de dieux », les mafias, les arrangements politiques, la manipulation des masses, les jugements iniques, le pouvoir occulte des sociétés dites secrètes.

Tout cela est très dur. Lorsque je vois mes enfants, je veux les mettre au courant, leur donner une petite idée de ces mondes parallèles, de ce qu’a été ma destinée.  Les psys m’y encouragent car il est impérieux de rompre la chaîne du secret entre les générations : elle est cause d’alcoolisme, de folie, de suicides, de malaises inexpliqués…  Mais leur mère, d’éducation conventionnelle, me le reproche et m’agresse verbalement.

J’ai l’occasion d’être présent à l’agonie de mon géniteur. Il parle, il dit sa honte alentour de sa négligence à mon propos mais il ne demande pas pardon. C’est sa manière à lui de s’excuser ? Alors, je lui propose de témoigner pour la justice : ils s’énervent, son épouse et lui !! Mais qu’est-ce que je m’imagine ??  Les autres enfants victimes, c’est bien le cadet de leurs soucis !!  Ils craignent l’enquête policière…  Alors, je vais seul, tant d’années après, et je dépose plainte. Les procédures sont longues mais elles aboutissent à de nouveaux aveux du monstre.  Il s’avère qu’il a perverti son propre fils et lui a enseigné à abuser d’enfants.  Je me rends à la cellule pédophilie de la police nationale et je témoigne à nouveau avec tous les renseignements complémentaires que j’ai pu glaner grâce à d’autres courageux qui, lors de mes visites à leur domicile, ont accepté de me confier des noms, des faits, des indices précieux.
Plus je vais et plus je capte la globalité du phénomène.  Dans mes déplacements et recherches de contacts, je me lie d’amitié avec un chef d’enquête qui confirme les nombreux liens existant entre le crime organisé et l’Administration. Des journalistes m’informent au sujet de témoins qui disparaissent mystérieusement avant certains procès.  Dans la magistrature, les ripoux sont présents, je le pressentais depuis longtemps, j’avais été témoin de faits très clairs. Puis, je reçois moi aussi mes premières menaces de mort et mon bureau est fouillé de nuit : on a abattu les portes à coups de hache…

D’associations en associations, j’en apprends davantage sur nos existences de  victimes, sur nos résiliences, notre résistance, nos souffrances : grâce à ces partages,  je me reconstruis aussi, dans ces solidarités émouvantes, au travers de liens qui s’établissent pour toujours.  J’assiste à des conférences, à des interrogatoires de responsables, à des débats chez SOS Inceste. Puis aussi à de mini-congrès où les victimes qu’on appelle maintenant des « survivants-es » n’ont pas droit à la parole, sauf exceptions spectaculaires choquantes : mises à nus publiquement, elles s’effondrent, chaque fois. Les professionnels acclament leur courage et elles retrouvent le sourire d’avoir bien supporté une nouvelle humiliation, s’imaginant être ainsi reconnues…  Comme cobayes ?

Je me rapproche du féminisme dit troisième mouvement « égalitaire ».  J’étudie de plus près les horreurs que les civilisations patriarcales font subir aux femmes depuis l’antiquité mais qui sont encore perpétrées dans chaque pays, qu’ils se disent démocratiques ou non.  Je pense sans cesse à mes enfants qui, entre temps, ont eu à leur tour une belle descendance.

Et je m’inquiète pour eux tous. À cause d’eux, pour elles, mes fille et petites-filles, je m’engage dans ce féminisme en comprenant que ce monde doit changer impérieusement et que je dois en être un artisan.  Je dis même publiquement que je ne regrette pas les années noires des viols et de l’ostracisme car ces expériences m’ont permis de me faire finalement une idée précise du monde dans lequel mes fille et petites-filles vont devoir grandir.

Enfin, entre plusieurs, nous montons un premier groupe de parole puis un deuxième.  Je constate avec bonheur le soulagement que l’on peut apporter à des survivantes et survivants au plus profond de leur solitude.  Cette solitude que j’ai trop bien connue pour ne pas savoir parler des souffrances qu’elle entraîne, de l’asphyxie qu’il convient de rompre, de l’espoir qu’il est urgent d’apporter aux victimes isolées.

Alors je me mets à témoigner publiquement, comme ici et maintenant devant vous qui me lisez car, déjà, à la cellule pédophilie de la police nationale, ces personnes exceptionnelles en charge de toutes ces enquêtes, me le disaient : « Le travail le plus efficace en ces matières est la médiatisation et la répétition de votre témoignage autant de fois que vous aurez le courage de le proclamer. »
La nuit suivante de mon difficile déballage final complet auprès d’eux (à qui je communique fidèlement chaque nouvel élément qui tombe à ma portée), j’ai fait ce rêve percutant, ce n’est pas un cauchemar, comme les autres, le voici : Je suis seul chez moi et, dans un moment de détresse, je découpe la partie supérieure de mon crâne, la calotte cranienne qui est découpée et ôtée. On peut voir mon cerveau à vif et, dans le sang bouillonnant qui circule, mes neurones sont ainsi à l’air.  J’ai un léger vertige de me voir subitement dans cet état et je décide de m’allonger dans un fauteuil.  Là-dessus, mes enfants et ma femme ouvrent la porte et s’effrayent à la vue de mon état, ils s’écrient : « Papa, papa, qu’est-il arrivé ?!?  Vite, vite, on va te soigner !!! »  Mais je réponds alors : « NON, NON !!! Car je veux enfin vivre libre, LIBRE !!... »

À 63 ans, j’ai enfin trouvé la sérénité, je me fais soigner du Syndrome de stress post-traumatique qui m’empêchait d’écrire à la main et qui me provoquait des blocages complets du squelette durant plusieurs semaines ou plusieurs mois, chaque année.  Je prétends vaincre tous mes maux psychosomatiques et j’ai acquis la confiance de l’instant présent. 

Je n’attends rien et je reste prêt à faire face à chaque seconde, tranquillement, au meilleur comme au pire. J’ai trouvé ma place et mon engagement pour le Progrès et la Liberté.  J’ai fait mon deuil de ces besoins d’être chéri.  Je sais, par contre, qu’il y a des gens bien pour qui je compte vraiment. Je crois en la Vie et je trouve merveilleuses les chaînes de solidarité que d’innombrables personnes exceptionnelles animent sans jamais se décourager.

Je réserve un mot final à l’intention des survivantes et des survivants qui me lisent : comme beaucoup d’entre vous, je me suis occasionnellement automutilé, tailladé, brûlé, dans ces crises de violences retournées sur nous-mêmes. J’ai souffert d’hallucinations en plusieurs occasions, sans effet des drogues; ou encore, dans des moments de déstabilisations intenses, je voyais se déformer les murs ou les gens alentour. J’ai pensé parfois perdre la raison et je me disais : « résiste encore jusqu’à la semaine prochaine, au moins jusque demain ! »  Je souffre toujours de vertiges ou de ces oppressions qui interdisent à mes poumons l’accès de l’oxygène. 

J’ai vécu le fantasme de la prostitution et cela m’a poursuivi longtemps, comme il est de notoriété publique que les personnes qui sont conduites à se prostituer sont jusqu’à 86% des victimes d’inceste et/ou de pédocriminalité, dans leur conditionnement terrible d’enfants dépossédés d’eux-mêmes.

Et il importe de souligner aussi que 80% au moins des SDF font partie de ce tiers déshérité de la population mondiale. Il semble même, à plusieurs d’entre nous, que nous n’avons pas droit à gagner de l’argent ou, plutôt, à en recevoir : cela fait partie de la distorsion cognitive, du cancer de la culpabilisation et de l’auto-flagellation qui nous ronge. Le message des prédateurs est toujours là, après des siècles : ils veulent notre humanité annulée, notre place dans l’Univers inexistante; vampirisé/es, nous serions des sans-droits, la honte devrait nous rendre prisonnières et prisonniers de la nuit obscure et nous écraser de silence.

Mais « résister, c’est créer; et créer, c’est résister » !!  C’est à cette tâche formulée par Stéphane Hessel que nous travaillons, nous, survivantes et survivants.  Nos liens entre nous et notre solidarité sont notre victoire. Luttons pour les droits humains, plus pour les droits de l’Homme !"
En témoignage, Août 2013. Victor Khagan, (lien)


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