samedi 11 janvier 2014

Esclavage moderne: des mères arrachées à leurs enfants, des enfants à leur mères... sur fond de danses orientales

Note: cet article constitue la reprise -mais approfondie car il traite d'un sujet infiniment plus grave- .. d'un passage d'un autre, "Islam, femmes, l'intérieur et l'extérieur", (lien) dans lequel, significativement, il ne représentait au fil de la plume, -presque- qu'une "anecdote".. (!) Une désinvolture significative ici corrigée révélatrice de ce que les esclaves n'existaient pas vraiment en tant qu'êtres humains, y compris, petit à petit, pour une out sider engagée (!)  : une toile de fond décorative d'une pièce dont seuls les personnages réels étaient les membres de la famille. Semi "transparents", anecdotiques.. L'article de base s'interrogeait seulement sur le décalage stupéfiant des comportements et des tolérances entre l'intérieur (danses érotiques) et l'extérieur (voile).. Et c'est à ce sujet qu'il abordait la question de ces mystérieuses danseuses au statut imprécis. Omerta. Loyauté vis à vis de gens qui m'avaient accueillie comme si j'avais été leur propre fille ? Sans doute aussi. Mea culpa. 




   L'ESCLAVAGE CHEZ DES GENS DE BIEN. MAROC, 70



Suite de -lien avec "Femmes arabes, l'intérieur et l'extérieur"-... [Résumé de l'épisode précédent : arrivée dans une famille ouverte et libérale au Maroc, je m'étonne de voir des jeunes filles parfaitement parées -servantes?- aux taches indéterminées, exécutant des danses orientales érotiques devant un public des deux sexes (''mais c'est la famille'' -!-) qui semblait se réjouir sans le moindre complexe. Non exploitées et apparemment fort bien traitées certes, mais..?]

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 Leur statut n'était pas clair et j'eus la nette impression que l'on ne cherchait pas à ce que je les fréquente de trop près. Bien traitées, c'est certain, vêtements, nourriture.. mais ensuite? Certaines étaient "attachées" -depuis toujours- aux filles de la maison, -une par fille- et les suivaient partout dans leurs déplacements comme les dames d'atours des princesses autrefois. La coutume voulait que lorsqu'un enfant naissait, on lui "offrît" une compagne -ou un compagnon- de jeu qui était élevé avec lui et -plus ou moins- comme lui.. sauf, restriction de taille! qu'il n'était la plupart du temps pas scolarisé. Des "orphelines" m'a-t-on assuré, recueillies -ou achetées?- à des paysans pauvres mourant de faim dans les montagnes. Un geste charitable profitant à tous ? En certains cas, c'était indéniable. Ainsi, la fille de Malika, justement, une superbe poupée de trois ans, elle aussi ''recueillie'', était choyée au même titre voire mieux que ses cousins. J'ai du reste longtemps ignoré qu'elle avait été adoptée et cela ne me fut révélé que lorsque mes questions sur les ''suivantes'' devinrent embarrassantes.

Leur situation était tout autre. Pourtant, quoiqu'analphabètes, elles semblaient heureuses, riant, chantant, dansant, s'amusant tout le temps.. Je ne les ai jamais vues prendre ne serait-ce qu'un balai. (D'autres, en nombre, étaient là pour ça.) Faire ou apporter le thé, des gâteaux, à la rigueur. Coiffer, soigner, masser et amuser leurs ''maîtresses'' était la seule tache qui leur était dévolue, plutôt agréable.. Mais leur sort dépendait entièrement de celles-ci. Elles y étaient ''attachées'' -souvent dans les deux sens du terme- c'est le mot exact, dormant même à leurs côtés. Samia (ndlr, une jeune fille de la famille) était si gentille qu'au début, j'ai cru que Jasmine était sa soeur. C'est à sa réaction offusquée devant mon impair que je mesurai toute la différence. ''Non Jasmine n'est pas ma soeur!'' avec comme argument imparable... qu' ''elle ne DANSAIT PAS, elle", pas plus que ses sœurs. -Donc les danses si appréciées avec tambourins et voiles.. en fait, étaient mal vues et celles qui s'y adonnaient, sur ordre ! mésestimées.. le paradoxe des comédiens autrefois excommuniés dans toute la chrétienté.-

Payées? Il n'en a jamais été question. Libres de s'en aller? Idem. Et où ?* Quelque temps après, j'en vis une pleurer en cachette parce que sa maîtresse allait partir et qu'elle allait, elle aussi, devoir quitter tout son univers, ses amies, une vieille servante à laquelle elle s'était attachée comme à la mère à laquelle on l'avait sans nul doute arrachée... pour un temps indéterminé, peut-être pour toujours. Elle me fit promettre de ne pas la trahir c'est à dire de ne jamais révéler que je l'avais vu sangloter et qu'elle s'était plainte. Non par crainte de représailles mais parce qu'elle se sentait ''ingrate'' vis à vis de celle qui la traitait si bien.. par ailleurs. Oui ! un peu comme un chien qui serait aimé, bien nourri et convenablement soigné.. mais auquel il ne viendrait à l'idée de personne de concéder une once d'existence ''propre'', de liberté. (''Que feraient-elles sans 'nous'?'') Certes, analphabètes, jolies, il était clair que la prostitution les guettait si elles s'échappaient, ce qu'aucune n'avait l'idée de faire -à ma connaissance-. Leur beauté elle-même m'interpelait : avaient-elles été choisies en fonction de ce critère comme on achète chez un éleveur le chiot le plus mignon? Peu après, il arriva quelque chose de plus grave encore à une autre : sa maîtresse l'avait sévèrement battue** (l'intervention à ma demande, de mon copain.. et la mienne, soutenus par tous, une engueulade mahousse de la coupable de quatorze ans -débile légère, irresponsable mais athlétique- arrangea l'affaire certes mais jusqu'à quand?-)
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 Des esclaves? Sans aucun doute, c'est le terme juste. Mais encore? Leur allure, leur beauté..  Des concubines? des femmes de "confort" à demeure? Je n'ai jamais rien observé de ce côté-là, et mine de rien, j'ai "surveillé". Tout semblait clean. Ils n'étaient pas sexistes (des musulmans -sans excès- !!) et du reste la chef du clan était une jeune femme de 40 ? ans, Malilka, belle, active, un brin provoc, la préférée du patriarche qui était aux ordres. [Il demeure la question : auraient-elles pu refuser si un des hommes de la maison avait "demandé"? La réponse évidemment est NON.] La famille -classe moyenne-, était engagée libérale soft, sympa et ''humaniste''. Et mon copain, un militant d'extrême gauche -en France- (!) nullement gêné par cet état de fait. (''C'est le mieux qui puisse leur arriver'' affirmait-il, droit dans ses bottes.) 
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Mais dans d'autres familles, souvent pauvres ou très pauvres, j'ai vu, comme au Liban, mais ici presque systématiquement, des petites "bonnes" de sept ans ou moins, dont l'une, qui s'était attachée à moi et vice versa, me supplia de l'amener en France où me jura-t-elle "elle ferait tout ce que je voudrais, cuisine, vaisselle, repassage etc"! Des orphelines aussi m'a-t-on certifié.. bien contentes d'avoir trouvé un foyer où elles mangeaient à leur faim (faux).. Mais dans ces familles, personne ne mangeait à sa faim. Elles avaient la dernière part donc étaient en permanence affamées. 
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Au Liban, un cas de figure à la fois pire et moindre consistait pour les bourgeoises, à aller ''faire leur marché'' sur une place (en cas de presse, réception, visite imprévue) où de toutes jeunes filles, souvent kurdes (10-12 ans parfois, il les fallait juste ado et fortes!) attendaient le ''client''.. et à en ''ramener une'' pour les gros travaux, un temps déterminé, durant lequel elle devait trimer durement, harcelée par les servantes ''en titre'' qui se déchargeaient sur elle des taches les plus pénibles et répugnantes.. dormant sur un matelas jeté à même le sol n'importe où, couloir, salon.. lorsque tout le monde était parti.. et éveillées dès que la première ''bonne'' attaquait la journée. 
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                                          La ''location-vente''

Un autre cas, plus récent, consistait, par le biais de négriers spécialisés, d'engager par contrat -pour une longue durée- une femme d'âge mûr, mariée et mère de famille, souvent il s'agissait de philippines, parfois fort instruites- après avoir payé d'avance l'agence chargée du recrutement, livraison et formalités. Sur la somme déboursée -modique- combien allait à la future "employée" ou plus exactement à sa famille? Ainsi, séparée de ses enfants pour lesquels elle avait consenti à ce pseudo esclavage, était-elle livrée pieds et poings liés à des patrons qui l'avaient achetée pour deux, trois.. ans. Pour éviter les fuites (au cas où elles auraient mesuré l'étendue de leur exploitation par rapport aux femmes autochtones, ou si elles étaient trop mal traitées) l'agence envoyait directement un ''reliquat'' d'argent à leur famille, qui était retenu si elles s'étaient ''échappées'' ou si elles avait failli de quelque manière qu ce soit (''paresse'', négligence -le paradoxe était que ces femmes qui avaient dû abandonner leurs enfants étaient presque toujours chargées de s'occuper, et à temps plus que complet ! de ceux des autres-, vol, sorties non autorisées -elles n'avaient droit qu'à de très rares, toujours sous réserve de ne pas être indispensables une après midi donnée, autant dire aucunes... exception faite de la messe du dimanche si elles étaient catholiques, ce qui était en général le cas-.) La plupart consentaient à ce déchirement uniquement pour l'avenir de leurs enfants, afin qu'ils puissent étudier -dans de bonnes écoles, chères.-

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*Ayant perdu -je suppose- tout contact avec leur famille, celle-ci aurait-elle pu les reprendre, au cas improbable où elles auraient réussi à la retrouver? Et que faire d'une jeune fille habituée au confort d'une maison bourgeoise en ville, à une vie relativement oisive.. pour des paysans pauvres travaillant dur? Aucune ne semblait le souhaiter -mais peut-être ne m'ont-elles pas tout dit? Les seuls contacts que je pus avoir avec elles étaient sous contrôle de leurs maîtresses, ne serait-ce qu'en raison de la barrière de la langue... et visiblement, il n'était pas souhaité que j'en eusse davantage.-

Je fus même avertie par mon copain que Lamia [une tante âgée veuve depuis peu, isolée, à laquelle Kedidja avait ''prêté'' Leila pour les vacances -car parfois, à l'occasion d'un voyage de leur maitresse à l'étranger où elle ne pouvaient les amener ou pour complaire à une parente déprimée.. les esclaves changeaient de ''mains''-].. Lamia donc n'aimait pas que j'échange mes vêtements avec ceux de Leila.. C'était un jeu entre nous : comme elle admirait inexplicablement mon jean's élimé, et moi, ses robes orientales richement brodées, je lui avais proposé d'échanger nos fringues -provisoirement-. L'effet fut saisissant. Le veto de Lamia, soi disant, [prétexte croquignolet] relié à l' ''indécence'' du pantalon !!! provenait-il en fait de sa crainte d'une évasion -Leila ne lui ''appartenant'' pas, sa perte eût été doublement une catastrophe- ? C'est à présent seulement que je m'interroge : significativement, je n'avais jamais remis en doute les assertions unanimes, à savoir que, heureuses et satisfaites de leur sort, elles n'auraient jamais eu l'idée de partir. Or, le fait est que Leila -au teint clair de kabyle- en jean's et t-shirt était parfaitement crédible comme touriste française... et que retrouver dans une mégapole [car Lamia ne vivait pas dans la même ville que Kedidja ni même dans une médina, mais dans un quartier européen] une jeune femme qui n'avait pas d'existence légale eût été mission impossible -ou peut-être  (?) justiciable. Était-ce la raison de l'''admiration'' de Leila pour mes vêtements ? Avait-elle imaginé un plan?

 Peut-être, sans que je ne m'en sois doutée, que la soif de liberté chez elle -ou chez d'autres- avait été plus forte que la ''sécurité''... peut-être avait-elle voulu profiter de l'aubaine que représentait une maîtresse isolée, de surcroit âgée, dans une petite maison occidentale.. et une ville européanisée où on pouvait facilement disparaître... voire réclamer de l'aide, [notons le, toujours auprès d'européens, en nombre à cet endroit]? En effet, si c'était le cas, ce n'est pas à moi qu'elle l'aurait révélé, comme aucune autre esclave désirant s'évader : leur statut et leur ''éducation'' -je dirais plutôt leur réflexe conditionné- les avaient habituées à ne jamais exprimer ouvertement leurs sentiments, ni dévoiler leurs projets.. Invisibles elles étaient, invisibles elles se devaient de demeurer.. avec parfois quelqu'avantage : résister et peut-être échapper à une existence intolérable. [Note : les enfants maltraités parlent rarement, comment en exiger plus des esclaves, même adultes ?] Amour pour leur maîtresse, sentiment de trahison si elles avouaient leur détresse, leur désir de liberté, complexe de Stockholm ?

Même celle que j'avais surprise à pleurer parce qu'elle allait être séparée de sa mère putative (les servantes, parfois elles aussi privées -mais provisoirement- de leurs enfants, s'attachaient à ces gamines privées -mais définitivement- de leurs mères... et c'est du reste par l'une d'elle -la ''mère'' de la jeune fille qui, ayant servi auparavant chez des européens, parlait parfaitement français- c'est donc par elle que j'ai su l'affaire, peut-être avait-elle l'idée que je pourrais intervenir, ce que je pus faire car la fille s'y opposa) .. elle se reprit immédiatement et, réendossa aussitôt revenue dans la cour, son visage souriant habituel -son masque- telle une actrice professionnelle. Et elle me pria instamment de ''tout'' oublier. Il est interdit de pleurer. D'aimer. De souffrir. D'être.

Notons que c'est Saluah, la servante -plus ou moins en chef- dont le statut était assez proche de celui d'une employée de maison en France, qui a droit à la parole, voire même à quelques revendications -elle s'estimait fort bien payée et relativement respectée, mais moins ajoutait-t-elle que chez ses anciens patrons européens, et chose assez inimaginable qui me faisait rire aux larmes, arrivait au travail en mobylette.. voiles au vent car elle n'omettait jamais cet accessoire selon elle indispensable à toute femme sérieuse !- qui osa me parler et non la petite esclave. Saluah, instruite, diligente, marrante, féministe à sa manière, une des rares à rentrer chez elle le soir, fût-ce très tard, n'était pas n'importe qui.

**Elle aurait parfaitement pu la tuer ou la rendre infirme à vie : la jeune débile avait pour habitude de lui sauter dessus au cours d'une sorte de "jeu" de saute-mouton qu'elle affectionnait particulièrement.. et qu'elle avait même tenté avec moi, en riant -sans méchanceté-. Mais lui livrer pieds et poings liés sans réel contrôle une adolescente du même âge montrait bien que personne ne se souciait vraiment de son sort: une esclave. "Répond-lui !" -lui avais-je dit un peu sottement lorsque, après ma mésaventure, elle m'avoua qu'elle-même subissait le même ''jeu'' assez souvent -je m'étais défendue efficacement-.. Elle me fit remarquer qu'elle n'en avait NI LE DROIT NI LA FORCE. C'est ensuite qu'eut lieu l' "accident". J'avais parlé à mon copain de cette manie dangereuse.. qui s'était contenté d'une admonestation qu'elle était bien incapable de comprendre -en fait, elle avait simplement compris qu'il ne fallait pas le faire AVEC MOI.- Elle non plus, dans son esprit embrumé -en fait pas si embrumé que ça!- ne voyait pas les esclaves comme des êtres humains réels : ce qui valait pour moi (et qui lui aurait valu une raclée de la part de mon copain.. ou de moi-même) ne pouvait valoir pour Assia. Après le drame, elle fut étonnée, presqu'incrédule de s'être faite secouer. Pour "ça" ! J'eus peur qu'elle ne se vengeât ensuite -car les choses restèrent en l'état et sa victime demeura son esclave !!- mais, sa mémoire étant plus ou moins celle d'un chiot, elle n'était pas capable d'un souvenir rationnel un peu élaboré, ne fonctionnant qu'au réflexe conditionné.. efficace pourtant. (Du moins je l'espère car je partis peu après.)

 L'ARTICLE précédent "Femmes arabes, l'intérieur et l'extérieur"? (lien)

L'ARTICLE : La polémique sur une "princesse" (lien)




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