Milena Jesenska
Je
te voyais parfois si évanescent, si profondément triste, sans volonté,
si versatile, ça me peinait infiniment, et je m'en voulais de ne pas avoir pu te rendre heureux ni te changer (mais en réalité tu ne le voulais pas.) Je me sentais
si forte par rapport à toi et si .. défaillante de ne pas pouvoir en faire plus
(mais si j'avais pu, ça n'aurait pas été moi
et tu ne m'aurais pas aimée.)
T’avoir
vu tout à l’heure. Rien. Un peu de joie
comme quand on revoit un vieil ami qui a changé. Sans plus. Pas trop compris les
entonnoirs (un symbole?) mais ça fait toujours plaisir un cadeau. Je
suis contente de te savoir heureux, relativement, et apparemment
bien entouré (du moins pour ce que tu souhaites réellement même si tu l'avoues rarement). Il m’a fallu du temps mais je suis redescendue, redevenue moi-même, mal au dos
compris. J’ai compris (ou plutôt accepté de voir) que ma tristesse n’avait
rien à voir avec toi, tu la masquais seulement (car je tentais de t’égayer, et à deux on lit moins les journaux) ; dès que tu t’es retiré, elle est réapparue. Mais elle ne provient pas de ton absence, elle est inhérente à la conscience
claire que nous allons vers un désastre écologique et beaucoup plus vite qu’on
ne pensait, et au fait que je me bats avec des armes démesurément faibles comme
beaucoup de potes, comme tous ceux qui se battent, et qu’on ne gagnera pas.
Au
fond je ne devais pas t’aimer vraiment (du moins pas comme tu le voulais): une
relation une fois par mois, quelques jours, dans le Midi, aurait pu fonctionner mais, habitué à C à présent, tu en voulais
plus, peut être à juste titre.. Et mon "désamour" que tu as dû subodorer
avant moi t’a blessé. D’où ta tristesse et parfois ta colère. Je crois que je t’ai aimé deux ans,
avant A. Après ça n'a pas été pareil... Et étrangement cet amour fou a resurgi
lors de ma crise en ce 21 juin, venu d’un passé si lointain, si enfoui.. Puis je me suis
raisonnée.. c’est à dire forcée à me l’arracher de
moi, même si je devais m’emporter un bout de chair avec.. Ça ne marchait pas toujours,
ou avec des hauts et des bas..
Enfin il y eut l’électrochoc (tant mieux, ça aurait pu durer toujours). La rencontre.. Là, il s’est passé en quelques secondes ce qui aurait dû prendre un an ou deux. Le disque dur se reformatait, se vidait à toute allure, effaçant ses données de 20 ans en un zip. Et hop plus rien.. Vierge. Prêt à redémarrer. D'attaque. Mais vide.
Enfin il y eut l’électrochoc (tant mieux, ça aurait pu durer toujours). La rencontre.. Là, il s’est passé en quelques secondes ce qui aurait dû prendre un an ou deux. Le disque dur se reformatait, se vidait à toute allure, effaçant ses données de 20 ans en un zip. Et hop plus rien.. Vierge. Prêt à redémarrer. D'attaque. Mais vide.
En
somme, on ne s’est pas aimés en même temps.
Quelque
chose en toi t’empêchait d’être, de vouloir. L'amour fou que tu dis avoir éprouvé
pour moi (comme tout) n’a pas été acté. "Plus tard" pensais-tu, disais tu, (quand tu aurais
le courage d’affronter ta mère, de lui dire que tu aimais une femme non juive.) Mais plus tard, (souvent,) c’est jamais. Cette incapacité à être se transmet. Même moi, à l’opposé,
(je veux tout et tout de suite comme dirait Mel) je changeai. Déçue, un peu blessée, je me suis lancée vers la tragédie annoncée. Et là, ce fut irrémédiable. Après, l’amour émerveillé de
la rencontre avait disparu.
Je t'effrayais autant que je te fascinais. Mais Franz, lui, eu le
courage de le lui dire et de rompre dès le début sachant qu’il ne pourrait que
l’insatisfaire et qu'à la fin il finirait par s'épuiser et la haïr. Lui aussi lui a benoîtement écrit -sans méchanceté- qu'il avait enfin trouvé une "solution" (!) en la personne de Dora, une toute jeune femme qui en effet prit soin de lui jusqu'à la fin. Lui aussi était juif, aux prises avec un père abominable, elle, comme moi, ne l'était pas, mais aux prises elle aussi avec un père terrible, qui cependant a tenté (en vain) de la tirer de Ravensbruck. Tu vois, il y a peu à transposer.
http://femmesavenir.blogspot.com/2007/11/lettre-milena.html
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