jeudi 10 octobre 2013

Guerres, dommages collatéraux sur plusieurs générations, inattendus. Une phrase historique.

Psychologie de la guerre


Lien avec l'article du "Canard du Midi"
Ceux qui ont subi (soit directement soit indirectement) des crimes de guerre, des actes de barbarie.. ou qui en ont seulement été témoins (viols, torture, d'eux mêmes ou de proches, morts, massacres..) actes souvent volontairement mis en scène par leurs auteurs pour frapper l’imagination.. développent ensuite un syndrome actuellement identifié mais qui ne l'était pas autrefois qui perdure toute leur vie... et qu'ils TRANSMETTENT à leurs enfants, lesquels le transmettront aussi à leurs enfants, surtout s'il n'en parlent jamais, ce qui est presque toujours le cas, pour deux raisons opposées : en cas de "victoire", pour ne pas gâcher la joie commune ; en le cas inverse, pour leur sécurité. Il s'agit souvent de femmes, du moins autrefois (car à présent que la guerre tue davantage de civils donc de femmes que de militaires ou de militants, la répartition du genre des victimes directes -mortes- et des victimes collatérales -vivantes- s'est modifiée en "faveur" -si l'on peut dire- de celles-ci.)

Ce syndrome provient de la solitude et de la culpabilité  : ils ont vu l'horreur, ont survécu, PAS D'AUTRES.. et, pire, voient petit à petit l'univers qui s'est pour eux effondré se reconstituer dans la joie et l'allégresse, oublieux, indécent, renforçant leur solitude et leur détresse.* C'est peut-être inéluctable et même souhaitable mais pour eux, une forfaiture. Le désenchantement et la haine s'ensuivent, d'eux mêmes et parfois de leur entourage. Par la suite, s'ils ont eux aussi reconstué (je laisse! c'est "reconstitué") leur vie, et cela aussi est inéluctable et souhaitable, ils s'en veulent par bouffées ainsi qu'à ceux qui en sont les "complices" ou le résultat, leurs enfants en premier. Comme s'ils avaient honte de leur trahison. Les enfants ne connaissant  en général pas leur histoire (on a voulu les protéger), les pistes sont brouillées ce qui accroît le traumatisme des ces victimes collatérales de la seconde génération. De fait, les traumatisés de guerre de la première génération se coupent de tous, y compris de leur entourage.

Lydie
 
ILLUSTRATION SOUS FORME DE SKETCH

Personnages : Lydie, 60 ans, qui a vu son compagnon Gustave Nouvel mort sous la torture précipité dans un puits de mine désaffecté (environ 31 autres résistants suivirent) dans les Cévennes, à Célas, en 44 (lien).
Hélène (sa fille), 30 ans, qui IGNORE TOUT DE L'IMPLICATION DE SA MÈRE, cependant médiatisée autrefois.. bien que connaissant évidemment l'histoire du Puits.
Alice (amie de Lydie) 60 ans.
Le cadre : une belle maison dans les Cévennes avec une piscine que Lydie vient de réaliser pour ses petits enfants. C'est au bord de la piscine, sous le soleil du Midi, dans un cadre idyllique que se situe le dialogue.
  




Suicidaire (la plupart du temps par défenestration!) en bouffées irrépressibles, Lydie, le reste du temps brillante, drôle et généreuse, excellente grand mère au demeurant, décourage sa fille (unique) qui envers elle passe de la sollicitude (la peur) à l'exaspération. Ce jour là, rien ne va plus, on ne sait pourquoi. Hélène, ne comprenant pas ces hauts et bas, tente maladroitement (et un peu agressivement) de la "raisonner". 
Hélène : - Mais qu'est-ce qui ne va pas enfin !! Tu as tout ce que tu veux! Tout pour aller bien. Ta mère se porte comme un charme, ton mari idem, une fille qui t'a donné deux superbes petits enfants, une belle maison, une terre magnifique, pas de soucis financiers, le soleil brille, s'il te plaît, arrête, tu es insupportable ! MERDE ! TOUT VA BIEN!
Lydie, exaspérée : - JUSTEMENT! C'EST PARCE TOUT VA BIEN QUE CA NE VA PAS !
Hélène, entre le rire et la colère : - GÉNIAL! Ça je le retiens, c'est historique! C'est parce que tout va bien que ça ne va pas.. Il te faut donc une grosse merde, une guerre, que sais-je, pour que ta mécanique détraquée tourne rond au poil!
Lydie, tristement, un peu méprisante : - Tu es gentille ma fille mais tu ne comprends jamais rien.

2ième scène, Hélène, Alice, qui vante les mérites de Lydie, surdouée dit-elle en maths etc..
Alice : - Ta mère est une femme exceptionnelle, de courage, d'intelligence..
Hélène, agacée, souriante : - Mmm.. Exceptionnellement chiante aussi.
Alice (riant) : - Ça c'est bien possible..
[Hélène lui raconte alors la scène de la piscine.]
Alice, bouleversée, rêveuse : - OUI. JE COMPRENDS. ET BIEN C'EST POUR CELA QUE JE TE DIS QUE TA MÈRE EST UNE FEMME EXCEPTIONNELLE.. DROITE, INTÈGRE.."
Sibyllin. Aucune explication. Hélène ne comprend pas précisément ce qu'Alice a voulu dire. Elle comprendra 24 ans après, après la mort de Lydie, lorsqu'elle trouvera au grenier les lettres de Gustave Nouvel à sa mère. 52 ans d'incompréhension, d'omerta..

La honte et la culpabilité d'être heureux, si on résume. Hélène, qui s'est sentie (ou crue) rejetée, perturbée ensuite comme Lydie, avec elle aussi des hauts et des bas en pics acérés, transmettra ce syndrome à ses enfants, (en un sens !).. ses enfants toujours dans l'inquiétude envers elle.. ce qui aurait pu être évité si Lydie avait été débriefée après la découverte des corps dans le Puits, ou tout simplement si elle avait parlé à sa fille, ou encore si quelqu'un avait parlé à celle-ci**... de façon qu'elle identifie les causes du rejet de sa mère, qui l'aimait mais lui reprochait d'être là à la place d'un autre.
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Par la suite, son fils, exaspéré par l'ascétisme exacerbé et l'engagement écologique de sa mère (?) dont il a souffert (son père est fort différent, jouisseur jusqu'à un hédonisme discret de bon ton, ce qui est sans doute une des raisons de son choix par sa femme et réciproquement) devenu par réaction (?) à la fois marginal vocatif et parfaitement dans la norme sociale, insoucieux de tout engagement quelqu'il soit (apparié avec une jeune femme de la même eau) lui lancera au cours d'une scène qui la marquera à jamais "de ces histoires, on s'en fout à présent.. le passé c'est le passé" et c'est l'avenir -son avenir en le cas- qui l'intéresse, lui.. Chacun sa merde!" (Lien) La réaction des victimes collatérales de la première et deuxième génération peut être à l'opposé : maintenir la flambeau -parfois sur un plan différent- ou se "ranger" de la manière la plus triviale qui soit par le désengagement et l'égoïsme, renforcés ici par la crise. Les enfants des héros dont on fleurit la tombe ne sont parfois pas ceux que l'on croit. Note: mais si Hélène a choisi un homme issu d'une famille à l'opposé de la sienne et qui par bien des côtés adhère à cette posture quoiqu'il en dise, ce n'est peut-être pas un hasard mais sans doute pour éviter de transmettre son traumatisme.. ce qui fut "réussi" d'une certaine manière, dramatiquement.. à l'opposé, ce qui ne vaut guère mieux.. et l'a alors coupée des siens, de ses propres enfants. Une cassure irrémédiable; les traumatisés de guerre sont des gens seuls. Ceux de la deuxième génération parce qu'ils ont dû tenter de réparer leurs parents sans les armes pour agir, ceux de la troisième idem peut-être.. mais finalement, dépassés par la tâche ou dotés d'une moindre énergie que leurs parents, ils peuvent fini par jeter aux orties mémoire et souvenirs. Mais, tels Œdipe, ils risquent de rencontrer leur destin en voulant le fuir.     

* Le sait-on? "Si c'est un homme" de Primo Levi, actuellement un best seller, tira au départ à .. 500 exemplaires. Juste après la guerre, dans l'euphorie de la Libération, il n'était pas bon d'évoquer des choses déplaisantes comme les camps d'extermination nazis dont Levi était un rescapé. Il se suicida peu après. 

** Un secret (de famille? ici c'est bien plus que ça) tend de manière curieuse à resurgir de façon inattendue: ainsi Hélène acheta-t-elle en viager une maison à Rousson.. dont la propriétaire qu'elle allait voir régulièrement, parfois avec Lydie ! résidait à Mons.. (la route passe tout près du Puits.) Un jour, Lydie, au croisement l'indiquant, faillit lui parler.. ("dans ce Puits, il y a eu..") puis se ravisa. Hélène n'osa pas la questionner davantage, pour ne pas raviver des souvenirs cruels dont cependant elle ignorait qu'ils étaient si personnels. Une erreur. Il fallait qu'elle parle et tout se serait peut-être éclairé. Y compris les rapports d'Hélène avec son père (inexistants) qui ne la considérait peut-être pas comme vraiment sa fille, d'où son rejet (celui-ci, constant et quasi avoué.)    
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LE DOSSIER les femmes et la psychiatrie


 

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