Il est remarquable que
lorsque j'essaie de te faire part de quelques réflexions sur
notre relation à titre d'analyse, tu infléchisses petit à petit
l'échange vers des jugements contre moi ; et si je me laisse aller à me
justifier, le discours se dilue en une série de reproches litaniques ; tu coupes en t'attardant sur des points de détails contre productifs
qui parfois ne font que corroborer, mais sur le mode
réquisitoire, comme pour éviter que l'on n'avance. Et
par contre tu omets les points qui
joueraient éventuellement contre toi. Exemple vite fait, si tu t'étends
volontiers sur mes soi disant incompétences ménagères -inexact- tu ne songes jamais
à tes propres incompétences, bien réelles celles-là.. et je fais de même, (sauf
ici où j'analyse notre conversation).
Tu dis que ta mémoire te joue des tours,
peut-être, mais souvent tu as de faux souvenirs (et il faut du temps pour que
tu te souviennes, parfois on essaie de te faire remémorer un événement en
vain.. Et il arrive que l'on ne relève même pas la fausseté de souvenirs pour ne
pas alourdir le discours.. mais par contre tu oublies des points fondamentaux (ex
ta réflexion chez les psy lorsque N allait si mal, là, sur ce point, pour la
première fois, tu avais baissé la garde, ce qui chez toi est rarissime et ne se
produit que devant un drame -raison peut-être pour laquelle j’en suscite
parfois ?).. tout en reconnaissant souvent, paradoxalement, que mon
analyse n'est pas fausse. Il est difficile de parler avec toi à plat, d'avancer, ça
bloque de tous les côtés et souvent finit mal.
Si tu es ainsi, c'est
que tout jeune tu as perdu ton père et as dû assumer plus que tu ne
pouvais, tenir le rang pour la galerie, tu as dû faire
"comme si", à cela ta mère s'entendait mais toi tu es
moins doué, cela te pèse et t'angoisse car tu es différent, bon,
honnête, ce qu’elle n’était pas. Cela explique que tu te livres peu, aies peu
d'amis vraiment intimes, aucun à ma connaissance mais simplement des relations que tu tiens à
distance ou des gens que tu domines. Ton assurance n'est qu'une pose, tu
crains, comme lorsque tu étais enfant, d'être dévoilé gamin incapable de faire
face et qui devait pourtant s'y employer impérativement. Tu redoutes le dévoilement, ce
pourquoi tu dévies même une analyse qui se veut philosophique vers un
réquisitoire de proc.. pour éviter ce qui pourrait t'être reproché et que tu sens
venir (à tort), pour "changer de sujet" devant la menace qui point et que tu crois que tu vas perdre la face. Tu te crains en faute, tout le
temps et c'est ainsi que tu le deviens réellement.
L'amour et ce qu'il
représente de don, de magie, d'aliénation aussi, t'effraie, on te l’a appris
et au fond tu n'aimes guère le désir, tu es enfermé dans ton être et te suffis
parfaitement à toi même, bien que tu ne puisses vivre seul (tu choisis donc des
gens peu encombrants, qui te conviennent, suivent le mode de vie qui te sied ou
te le procurent lorsqu’il vient à te faire défaut, qui s'adaptent, des gens que
tu peux prendre et laisser et avec lesquels la relation est évanescente voire
pragmatique.) Tu les supportes en fonction de l’importance, de la
place qu’ils occupent et il ne faut pas qu’elle excède la ligne que tu as tracée,
moi par exemple qui en prend beaucoup, 3 jours/2 mois et V, plus discrète,
moins consistante, plus jeune aussi de 13 ans, 2 jours/semaine -avant-, ça te suffit. Qu’ils s’en
satisfassent ou non t’importe peu. Même au début de notre relation, tu disais
avoir besoin de décompenser avant de "rentrer". les couches t'insupportaient. Tu avais m'avais-tu dit "besoin d'un souffle, d'une relation autre" (car j'étais trop accaparée par le quotidien.)
Si bien que tu as toujours
besoin de deux personnes (aimables) l'une te protégeant de l'autre. C'est une
garantie de demeurer inviolé, intact, solitaire (mais tout de même avec
quelqu'un, l'idéal.)
Le désir, dès que tu sens
qu'il va te "déborder", tu le brises par quelques réflexions qui font
tache, le diluent puis l'anéantissent. Au début, je pensais à de la maladresse
mais à présent je crois que c'est volontaire. Tu es double car malgré tout, ce
désir que tu redoutes tant te fascine aussi. Ton corps trahit ton formatage, ta mère n’a tout de même pas pu t’enlever ça. Si bien que tu agis de manière
contradictoire, par les postures, les intonations, les réflexions anodines
déstabilisantes, les silences aussi, lorsque tu sens que ça va aller trop loin.
Exemple: lorsque tu pensais que j'allais venir te rejoindre à D., ta voix, après le bref coup de fil
qui m’avait bouleversée où là aussi tu avais baissé la garde, est redevenue celle,
glacée, du patron qui a "à faire" et pourra éventuellement en
"profiter" pour voir un subordonné si celui-ci se cogne 1000 km, une
voix blanche qui m'a aussitôt définitivement fait retomber de mon nuage. Mais lorsque
tu as su que je ne viendrai pas (tranquille, en attendant le train) ta voix est
redevenue amicale: ton devoir était accompli (effectuer quelques travaux, et
faire en sorte que ce soit moi qui refusât de te rejoindre), le risque
s’éloignait. Tu ne peux désirer et susciter le désir que lorsque tu sais qu'il
n'y a pas de risques qu’il te déborde. (Mais lorsqu’on te viole, tu en es
charmé tout de même, une contradiction ou plutôt un artefact de ton autre facette.)
Comment faire l'amour avec quelqu'un dont on a si
peur, dont on a si peur et de son désir et du sien, comment se dévoiler, se livrer comme
l'être incomplet que l'on est, que tous nous sommes.. si on pense être le seul à ne pas en
avoir le droit, si on pense devoir être le caïd qui règle tout, tranche et juge ?
Comment faire l'amour sans risquer de déchoir de ce rôle?
Trois solutions (que tu as
sans doute mises en pratique tour à tour) : choisir une femme qui n'en soit pas vraiment une, une
professionnelle, une prostituée qui, rémunérée, se tiendra à sa place et
disparaîtra son job aussitôt accompli. Ou avoir deux femmes. Ou en avoir une
seule mais qui sache faire le grand écart, être double, se plier selon ton
vouloir, ce que je fus, habituée depuis l'enfance à ce rôle bizarre. Une femme protée
qui sache être à la fois "père" et enfant (surtout devant la galerie,
pour te conforter dans l’image que tu veux offrir.) Songes-tu combien cela peut
épuiser, abaisser, presque détruire? Isoler aussi? Schizophréniser ? C'est ce
qui m'est arrivé. Ça m’a au début relativement convenu car, ayant
toujours été rejetée d’une manière ou d’une autre, j’étais habituée à jouer le
rôle de seconde, de pâte à modeler adaptable (ma mère me tenant des nuits entières pour me parler -j'étais
la mère- puis dès que mon père revenait, me rabrouant sans appel -j'étais
l'enfant-.. pour recommencer ensuite à l’infini, allant parfois même jusqu’à
m’incriminer dans le naufrage de leur relation… et mon père lorsqu’il a tenté de
me mettre en rivalité avec Mme G, me disant clairement que s’il avait à choisir
entre elle et moi, ce serait elle sans hésitation -j'étais la fille-.. tout en
me sollicitant ensuite lorsqu’il s’avéra que cette femme était.. ce qu’elle
était et qu’il ne pouvait pas ne pas avoir perçu -et là je devenais la mère-... mon père me laissant le soin
de m’occuper de ma mère lorsqu’elle allait mal par son fait et ensuite
lorsqu’il revenait, m’accusant d’être responsable de son mal être -il
m’arrivait, épuisée, de craquer en effet- mal être qu’au contraire je tentais
de le pallier, en vain puisque lui seul aurait pu la guérir d’une peine qu’il
lui infligeait par ses infidélités : que je sois celle qui prenait en charge un
rôle que lui aurait dû endosser lui était si insupportable que non seulement il
le déniait mais il m’incriminait et me haïssait pour l'avoir joué).
Pour toi, ça s’est compliqué
ensuite : ton côté double te fondait à avoir des relations avec des gens (des proches) que tu n'estimais guère, ce dont tu m'entretenais. Mais tu les
aimais aussi, ce que tu ne me disais pas. Si bien qu'il m'est arrivé
de les haïr parce qu'ils t'avaient fait du mal, à ton compte, pour
toi car à moi ils n'en avaient pas fait directement... ce que ton autre
"moi" me reprochait violemment. Tu voulais (mais pouvais-tu faire
autrement?) m'entraîner dans ton côté double, ce que j'ai refusé.
Et tu t'es pris à m'abhorrer pour les raisons mêmes que tu m’avais aimé, (je
pointais et dénonçais chez toi ta contradiction majeure). Je t'humiliais, étant
seule à connaître et ta haine, et ta soumission à ceux qui t’entouraient. Si bien que comme le pharaon pour l’architecte qui, l’ayant
créé, connaît les secrets du bâtiment inviolable qu’il lui a commandité, tu as
eu envie de me sacrifier; pour ta sécurité.
Ce que j'ai vécu à Paris
cette semaine affreuse (et ensuite) m'a montré que la peine n'était qu'endormie
et qu'elle pouvait resurgir en force sans prévenir (hier encore) car cette
situation (je ne t'incrimine pas, tu as été et es encore téléguidé par tes
habitus familiaux) presque anodine (tu vis conjugalement avec une femme certes
qui me déplaît mais je m'en doutais tout de même) a fait exploser en moi tout ce qui m'a blessée depuis toujours. Les
flashs qui m'assaillaient concernaient aussi bien mon passé lointain, ta
famille, ta femme, ma mère, mon père... tout ce qui me remontait à la gorge et
cette haine démesurée, effroyable qui m'a saisie, il fallait qu'elle se
décharge sur le/la dernier porteur du dernier coup de fouet même minime, même assené par un innocent ou du moins pas par la plus
responsable. Elle aurait pu payer pour tous.
Tu vis dans l’irréel : quand nous étions
ensemble, sauf tout au début, tu agissais comme si ta famille était ta mère et
tes sœurs ; tu assurais quitter ton boulot d’ici un mois ou deux.. (ça a
duré 30 ans) et à présent que nous vivons séparés depuis 10 ans, tu fais comme
si j’étais encore ta femme, et à celle avec qui tu vis tu fais subir le même
déplacement de rôle, refusant le terme pour elle. Ta femme, c’est moi (!)
Une femme fictive, virtuelle. Me voilà donc dans le rôle de ta mère, ta première femme virtuelle, ta mère qui elle aussi
effectuait des déplacements de rôles loufoques, (s’étant étonnée un jour que je parle de ta
jalousie, elle me rétorqua que "jaloux, tu ne l’avais jamais été envers
elle" !) rôle qui me convient comme des lunettes à un canard.
Le changement t’effraie à un point
incommensurable (sans doute est-ce relié à la mort de ton père) et tu agis et
te situes symboliquement toujours en décalage, dans le passé ; mais le présent te rattrape toujours si bien que tu suscites sans le
vouloir des drames autour de toi. Tu es stable ? Rassurant m’as-tu
dit ? En un sens, comme la drogue. Parce que tu entraînes ceux qui t'aiment
dans ton délire de bateleur ; je me laisse persuader, je suis ta femme
soit, surtout lorsque la distance floute le réel, lorsque tu es dans le sud
avec moi… Seulement, lorsque je t’ai vu vivre à Paris, le réel dans sa cruauté
m’a rattrapée. Prise dans ton délire, je suis brutalement
retombée dans l’horreur de la réalité.
Il faut dire que dans la solitude, je suis
triste le soir certes, mais calme, de plus je suis devenue
"quelqu'un" qui compte, partout, bref, j'ai perdu l'habitude d'être
le chien qui attend et supplie pour sa pâtée, qui subit rebuffades sur
rebuffades, délire sur sa situation, éloigné du réel qui assomme… et qui le
supporte dans l'espoir qu'un jour son maître comprendra... A présent, c'est moi
qui donne la pâtée aux autres, d'autant plus volontiers que j'ai tant quémandé
en vain depuis toujours, acceptant tout pour un regard, juste un sourire, et ne
l'ayant jamais obtenu ou si fugacement. Ça me libère.
Je ne crois plus que ce soit remédiable car
tu es ainsi formaté, et si je n'ai pu te changer (du reste, le souhaitais-tu
vraiment ? Tu le souhaitais et l’abhorrais comme d’hab, je t’ai changé, un
peu, tout de même) ce n'est pas maintenant que j'y parviendrai et
souffrir comme durant cette semaine (et hier même) il n'en est plus question.
Donc à présent que cette analyse est faite, la conclusion s'impose, divorcer et
vivre enfin les yeux ouverts sans le moindre espoir d'une réconciliation. Ne
même plus y penser. Pour toi comme pour moi. Le plus vite possible.
Ne te trompes pas, je t'aime toujours mais
ce déformatage que je me suis imposée (que j'ai dû m'imposer pour survivre) et
qui me fait mal (je t’ai perdu) mais me plait aussi (j'en ai "gagné"
d'autres) est fragile : je suis prête à tout moment, si je n'y prends garde, à
redevenir le chien qui supplie pour sa pâtée et d'autre part, si je demeure
celle que j'ai fini par devenir, "normale", dont une des
caractéristiques est de donner mais aussi d'exiger, de l'amour, de tout*..
(rien de mirobolant mais bon c'est moi) cela, tu ne le supporteras pas. Ni l'un
ni l'autre ne pouvons changer, pour moi ce n'est pas souhaitable, pour toi, ça
le serait peut-être (?) mais tu en es incapable.. et surtout il ne faut pas
pousser dans leurs retranchements ceux dont le fragile équilibre tient à un
fil, à une bizarrerie nécessaire acquise autrefois pour survivre, car le
résultat est alors plus douloureux que le bienfait procuré**. Et après tout si ta
femme t'accepte comme ça, comme je l’ai fait 25 (?) ans, il ne faut pas
chercher midi à quatorze heures, tu n'es peut-être pas si mal dans une
"relation conjugale minimale" puisqu'à présent tu peins.
* Tu m’as écrit, un sarcasme reprenant mes termes en
les déformant, et c’est à la fois blessant et vrai, que je te reprochais de n’en "avoir pas eu
pour mon argent avec toi". Et bien, même si formulé comme ça c'est volontairement insultant, oui, ce fut vrai au bout de quelques temps : un mari qui jouait à ne
pas l’être et de fait ne l’était pas, un père qui tentait de l’être mais à
temps très partiel, un homme qui ne pouvait imaginer que j’aie besoin de plus, d’une vraie relation… (jusqu’à D. et là en effet tu as changé,
tu m’as enfin accordé sans que je fasse le moindre effort la présence, le regard,
l’écoute que je quémandais désespérément en vain depuis si longtemps, là, oui,
j’en ai eu pour mon argent mais ça n'a pas duré, lorsque j’ai cédé, lorsque je t’ai choisi, tu
es revenu ensuite tel qu’avant.)
** Je l’ai tenté avec ma mère, le résultat
fut catastrophique, ses pseudos délires avaient disparu en effet mais furent
immédiatement remplacés par une franche dépression dont il a fallu la tirer
ensuite. Quand dans un être tout fonctionne relativement, même avec des dérives
étranges et pénibles, intervenir sans qu'il ne le réclame et même s'il le réclame ! c’est courir le risque de lui faire plus de
mal que de bien. Cela vaut pour toi. J’ai joué mon rôle, je t’ai procuré de la
joie, peut-être du bonheur, mais avec ceux-ci qui t’étaient interdits, de la
culpabilité, de la peine et de la rage que tu as transférées sur moi et qui m'ont frappées en pleine figure. Je t’ai
apporté du bien et du mal obligatoirement mêlés puisque tu es un être dédoublé.
Et moi j’ai reçu de la peine à deux titres, d’abord pour te sortir de tes
problèmes avec patience et amour et ensuite, en raison de la haine que tu as
éprouvée en retour pour moi… parce que justement je t’avais arraché aux déchirures qui au fond te satisfaisaient ou plus exactement nourrissaient une
de tes deux facettes opposées. En ce sens, oui, tu as raison, je n’en ai pas eu
pour ma peine.
Ce double rôle, amante compréhensive, salope abhorrée ;
femme "père" et femme-enfant m’a perturbée ou plus exactement, au
bout du voyage, a drastiquement renforcé mon mal-être sous jacent : je fus la
seconde, la vacataire (de ta mère, ta seule femme véritable quoique virtuelle) que l’on prend et qu’on lâche lorsqu’elle
envahit trop.. mais que l’on a choisie justement en raison de sa personnalité
affirmée et forte pour se protéger contre la matriarche ! Et à présent mon autre rôle, mais inversé, qui me fait encore plus horreur -et celui-là, je n'en veux à aucun prix-, celui de la matriarche, de ta mère : le rôle de la "vieille" femme ou plus exactement de la précédente, je n'écris pas la "première" car la première était incontestablement ta mère, (la matriarche), remplacée par une vacataire sans importance.. qui est en fait ta femme réelle (tu couches avec elle et non avec moi, certes parce que je refuse.) Loufoque ton déplacement des situations. Tu ne peux aimer celle avec qui tu couches en somme. Tu aimes en décalage là aussi : quand je vivais avec toi, tu "aimais" ta mère et "ta famille" dont je te rappelle que tu ne m'as guère défendue (lorsque par exemple le terme fut employée par Akram contre moi sans que tu ne réagisses, d'"usurpatrice", de "photocopie", "tu n'es pas Madame E. et ne le sera jamais" etc.. là mon amour, il eût fallu lui casser le gueule ou au minimum le cingler, c'est sans doute là que mon admiration pour toi s'est évanouie et sans admiration, pas d'amour) et à présent que nous sommes séparés, c'est moi que tu aimes et non celle que tu as choisie (par peur de la solitude? parce qu'elle est plus jeune? Plus jolie? Plus admirative vis à vis de toi? -forcément elle te connaît moins- Plus souple? plus organisée? Tout cela je pense.)
Si bien que je souscris à ton sarcasme, en effet je n’en ai
pas eu pour mon argent. Mais si toi tu fus formaté à la réussite cynique (pas
pour toi seul certes au contraire mais pour ton clan) tempérée par ta bonté ou
ton amour, je le fus moi, à servir le peuple (!) sans rire et à m'oublier. Il
était logique que nous nous emboîtions, il est logique à présent que nous nous
dissociions, que nous divorcions… en bons petits bourgeois que nous sommes
devenus.