Excision,
violences domestiques, négation des droits… Certains vous diront que c’est une
«culture» et une «religion » !
Oui: ils nous haïssent. Il faut que cela soit
dit. Qu’est-ce que le genre, ou le sexe d’ailleurs, a à voir avec le Printemps
arabe? Je ne parle pas du sexe caché dans des coins sombres ou dans des
chambres fermées. Mais d’un système politique et économique dans son
intégralité qui traite la moitié de l’humanité comme des animaux et doit être
détruit en même temps que les tyrannies plus ostensibles qui étouffent l’avenir
de la région. Tant que la colère ne se sera pas déplacée des oppresseurs de nos
palais présidentiels aux oppresseurs dans nos rues et nos maisons, notre
révolution n’aura pas commencé. Les femmes du monde entier ont des problèmes;
c’est vrai, les États-Unis n’ont pas encore élu une femme président; et oui,
les femmes continuent d’être traitées en objet dans beaucoup de pays
«occidentaux». C’est généralement là-dessus que la conversation se termine
quand vous essayez de discuter des raisons pour lesquelles les sociétés arabes
haïssent les femmes… Mais c’est 1.000 fois pire !
Quand plus de 90% des femmes mariées en Egypte —y
compris ma mère et cinq de ses six sœurs— ont subi une mutilation génitale au
nom de la décence, alors sûrement, il est nécessaire que tous, nous
blasphémions. Quand les femmes égyptiennes sont soumises à d’humiliants «tests
de virginité» uniquement parce qu’elle ont osé prendre la parole, il n’est pas
temps de se taire. Quand un article du code pénal dit que si une femme a été
battue par son mari «avec de bonnes intentions» aucuns dommages-intérêts
exemplaires ne peuvent être demandés, alors au diable le politiquement correct.
Et dites-moi, s’il vous plaît, ce que sont de «bonnes intentions»?
Légalement, elles sont censées comprendre toute raclée qui ne soit «pas
violente» ou «dirigée vers le visage». Ce que tout cela signifie,
c’est que quand on en vient au statut de la femme dans le monde arabe, la situation
est mille fois pire. Même après ces «révolutions », les femmes restent
voilées, prisonnières de leur foyer, on leur refuse la simple mobilité de
monter dans leurs propres voitures, elles sont obligées de demander aux hommes
la permission de voyager et elles sont incapables de se marier, ou de divorcer,
sans la bénédiction d’un mâle responsable d’elles.
L’Arabie saoudite et le Yémen voisins, par
exemple, sont peut-être à des années-lumière l’un de l’autre en termes de PIB,
mais quatre places seulement les séparent dans l’indice des inégalités, avec le
royaume à la 131e position et le Yémen 135e sur 135. Le
Maroc, dont la loi «progressiste» sur la famille est si souvent vantée (un
rapport de 2005 par des «experts» occidentaux le qualifie «d’exemple
pour les pays musulmans visant à l’intégration dans la société moderne»)
occupe la 129e place; selon le ministère de la Justice marocain,
41.098 filles de moins de 18 ans y ont été mariées en 2010. On
comprend facilement pourquoi le Yémen est le pays le plus mal noté, puisque 55%
des femmes y sont illettrées, 79% ne travaillent pas et une seule femme siège
au Parlement qui comprend 301 députés. Les abominables reportages sur des fillettes
de 12 ans qui meurent en couches n’aident pas à y endiguer la vague
des mariages d’enfants. A la place, les manifestations de soutien au mariage
des enfants surpassent celles qui s’y opposent, alimentées par les déclarations
du clergé claironnant que les opposants à la pédophilie approuvée par l’État
sont des apostats car le prophète Mahomet, selon eux, aurait épousé sa deuxième
femme Aïcha alors qu’elle n’était qu’une enfant. Mais au moins les femmes
yéménites ont-elles le droit de conduire. Cela n’a certainement pas mis un
terme à leurs innombrables problèmes, mais c’est un symbole de liberté —et un
tel symbolisme ne résonne nulle part ailleurs plus fort qu’en Arabie saoudite,
où le mariage des enfants est également pratiqué et où les femmes sont
d’éternelles mineures quel que soit leur âge ou leur niveau d’études. Les
femmes saoudiennes, beaucoup plus
nombreuses que les hommes sur les campus des universités, en sont pourtant
réduites à regarder des hommes bien moins qualifiés qu’elles contrôler tous les
aspects de leur vie. Oui, l’Arabie saoudite, où la rescapée d’un viol collectif
a été condamnée à de la prison pour avoir accepté de monter dans une voiture
sans membre masculin de sa famille, et qui a dû recourir à la grâce royale;
l’Arabie saoudite, où une femme qui bravé l’interdiction de conduire a été
condamnée à 10 coups de fouets et a elle aussi dû implorer la grâce
royale; l’Arabie saoudite, où les femmes n’ont toujours pas le droit ni de
voter, ni de se présenter aux élections, et où un décret royal promettant de
leur accorder le droit de vote pour des élections locales presque totalement
symboliques en —vous allez rire— 2015 est considéré comme un «progrès». La
situation est tellement déplorable pour les femmes que ces minuscules cadeaux
paternalistes sont accueillis avec ravissement et que le monarque qui les
octroie, le roi Abdallah, est salué comme un «réformateur» et figure parmi les
11 dirigeants mondiaux les plus respectés. Le roi Abdallah a 87 ans. Le
prochain sur la liste est le prince Nayef, un homme tout droit sorti du
Moyen-Age. Sa misogynie et son fanatisme donnent au roi Abdallah des airs de Susan B. Anthony.
Alors pourquoi nous haïssent-ils? En grande
partie pour une histoire de sexe, ou plus précisément d’hymen. «La raison
pour laquelle les extrémistes s’acharnent toujours sur les femmes reste un
mystère pour moi » (Hillary Clinton). «Mais ils semblent tous le
faire. Peu importe le pays où ils vivent ou la religion qu’ils revendiquent.
Ils veulent contrôler les femmes.»
Si ces régimes exercent un tel contrôle, c’est
souvent par conviction que dans le cas contraire, une femme n’est jamais qu’à
quelques degrés de la nymphomanie. L'Insatiable Tentatrice. Qaradawi, (un mollah-star
de télé, modéré) qui est suivi par un vaste auditoire sur les chaînes
satellites et hors antenne affirme que la mutilation génitale des femmes (qu’il
appelle la «circoncision», euphémisme courant qui tente de mettre cette
pratique sur le même plan que la circoncision masculine) n’est pas «obligatoire»,
et soutient cette pratique « vu les circonstances du monde moderne .. pour
diminuer la tentation.» !! Donc même chez les «modérés», les
organes génitaux mutilés assurent que leur désir garde les lèvres ; Qaradawi
a depuis émis une fatwa contre la mutilation génitale féminine, mais personne
ne s’étonne que quand l’Egypte a interdit la pratique en 2008, certains
législateurs des Frères musulmans se soient opposés à la loi. Et c’est toujours
le cas y compris une éminente députée, appelée Azza al-Garf. Pourtant ce sont
bien les hommes qui n’arrivent pas à se contrôler dans les rues, où, du Maroc
au Yémen, le harcèlement sexuel est endémique, et c’est à cause des hommes que tant de femmes sont encouragées à se
voiler. Au Caire, un wagon de métro est réservé aux femmes pour nous
protéger des mains baladeuses et de pire ; d’innombrables centres commerciaux
saoudiens sont réservés aux familles, interdisant l’accès aux hommes seuls
s’ils ne produisent pas la femme requise pour les accompagner.
Nous entendons souvent que les économies
défaillantes du monde arabe empêchent de nombreux hommes de pouvoir se marier,
et certains utilisent cet argument pour expliquer la hausse du niveau de
harcèlement sexuel dans les rues. Plus de 80% des Egyptiennes déclarent avoir
subi un harcèlement sexuel et plus de 60%
des hommes admettent le pratiquer. En revanche, rien sur la manière dont un
mariage plus tardif peut affecter les femmes. Les femmes ont-elles des besoins
sexuels ou non? Apparemment, le monde arabe n’en est qu’à ses balbutiements en
termes de rudiments de biologie humaine.
Je reviens à l’Arabie saoudite, quand j’ai
rencontré ce pays à l’âge de 15 ans, le traumatisme m’a propulsée dans le
féminisme —il n’y a pas d’autre moyen de le décrire— . A l’époque —dans les
années 1980 et 1990— comme aujourd’hui, les religieux qui passaient à la
télévision saoudienne étaient obsédés par les femmes et leurs orifices, et
surtout par ce qui en sortait. Je n’oublierai jamais la fois où j’ai entendu
que si un bébé mâle vous urinait dessus, vous pouviez garder vos vêtements pour
prier, alors que si c’était une fille, il fallait vous changer. Mais qu’est-ce
qui pouvait bien vous rendre impur dans l’urine de fillette? m’étais-je
demandé. Voulez-vous savoir à quel point l’Arabie saoudite déteste les femmes?
Au point que 15 filles sont
mortes dans l’incendie de leur école à la Mecque en 2002, quand la «police
des mœurs» les a empêchées de fuir le bâtiment en feu —et empêché les pompiers
de les secourir— parce qu’elles ne portaient pas les voiles et les manteaux
obligatoires en public. Et il n’y a eu aucune conséquence. Personne n’a été
jugé. Les parents ont été réduits au silence.
Haine en Arabie saoudite, haine en Tunisie, haine en Libye...
En Tunisie, longtemps considérée comme ce qui se
rapprochait le plus d’un exemple de tolérance à suivre dans la région, les
femmes ont retenu leur respiration à l’automne dernier quand le parti islamiste
Ennahda a remporté la majorité des voix lors des élections de l’Assemblée
constituante. Les dirigeants du parti se sont engagés à respecter le Code du
statut personnel de 1956, qui déclare «le principe d’égalité entre hommes et
femmes» en tant que citoyens et interdit la polygamie. Mais des
enseignantes d’université et des étudiantes se sont plaintes depuis d’avoir
subi des agressions et des intimidations de la part d’islamistes parce qu’elles
ne portaient pas de hijabs, tandis que de nombreux activistes du droit des
femmes se demandent comment des débats sur la loi islamiste vont réellement
affecter la loi réelle sous laquelle elles devront vivre dans la Tunisie
post-révolution.
En Libye, la première chose que le chef du
gouvernement par intérim, Moustafa Abdel Jalil, promit de faire fut de lever
les restrictions du tyran mort concernant la polygamie. Avant d’imaginer
Mouammar al-Kadhafi comme un féministe, souvenez-vous que sous son règne, les
filles et les femmes qui avaient survécu à des agressions sexuelles ou étaient
soupçonnées de «crimes moraux» étaient jetées dans des «centres de
réhabilitation sociale», des prisons en réalité, d’où elles ne pouvaient
sortir tant qu’un homme n’acceptait pas de les épouser ou que leurs familles ne
les reprenaient pas.
Et puis il y a l’Egypte, où moins d’un mois après
le retrait du président Hosni Moubarak, la junte militaire qui le remplaçait,
officiellement pour «protéger la révolution», nous a involontairement
rappelé les deux révolutions dont nous, les femmes, avons besoin. Après avoir
débarrassé la place Tahrir des manifestants, l’armée a arrêté des dizaines
d’activistes, hommes et femmes. Les tyrans oppriment, battent et torturent tout
le monde. Ça nous le savons. Mais ces officiers réservent les «tests de
virginité» aux activistes femmes: un viol sous la forme d’un médecin qui
insère ses doigts dans le vagin à la recherche de l’hymen (le médecin a été
poursuivi et finalement acquitté
en mars). Quel espoir peut-il y avoir pour les femmes dans le nouveau parlement
égyptien, dominé comme il l’est par des hommes bloqués au VIIe siècle?
Un quart de ces sièges parlementaires
sont désormais occupés par des salafistes, qui estiment que singer les us
et coutumes de l’époque du prophète Mahomet est une prescription appropriée à
la vie moderne. A l’automne dernier, en présentant des candidates aux élections
[parce que la législation l’y obligeait], le parti salafiste égyptien Al-Nour a
remplacé le visage de chaque femme par une fleur. Les femmes ne doivent être ni
vues, ni entendues —même leur voix est une tentation— elles siègent donc au
parlement égyptien, couvertes de noir des pieds à la tête et toujours absolument muettes. Et nous sommes au
beau milieu d’une révolution en Egypte! C’est une révolution au cours de
laquelle des femmes sont mortes, ont été battues, mitraillées et agressées
sexuellement en luttant aux côtés des hommes pour débarrasser notre pays de ce
patriarche majuscule —Moubarak— et pourtant tant de patriarches minuscules nous
oppriment encore.
Les Frères musulmans, avec presque la moitié de
tous les sièges de notre nouveau parlement révolutionnaire, ne croient pas que
les femmes (ou les chrétiens d’ailleurs) puissent être présidentes. Celle qui
dirige le «comité des femmes» du parti politique des Frères musulmans a
récemment déclaré que les femmes ne devraient ni défiler ni manifester car il
est plus «digne» de laisser leurs maris et leurs frères le faire pour
elles. La haine des femmes va loin dans la société égyptienne. Celles d’entre
nous qui ont défilé et manifesté ont dû négocier un champ de mines d’agressions
sexuelles commises à la fois par le régime et ses laquais, et, malheureusement,
parfois par ceux qui font la révolution à nos côtés.
Celui qui a décidé ainsi n'a jamais été une femme
Le jour de novembre où j’ai été victime d’une
agression sexuelle dans la rue Mohamed Mahmoud près de la place Tahrir, par au
moins quatre membres de la police anti-émeutes égyptienne, j’avais d’abord été
pelotée par un homme sur la place même. Alors que nous dénonçons les agressions
commises par le régime, quand nous nous faisons violenter par des civils comme
nous, nous imaginons immédiatement que ce sont des agents du régime ou des
voyous car nous ne voulons pas ternir l’image de la révolution. D’abord,
arrêtons de faire semblant. Reconnaissons la haine pour ce qu’elle est.
Résistons au relativisme culturel et sachons que même dans des pays qui
connaissent des révolutions et des soulèvements, les femmes resteront toujours
la cinquième roue du carrosse. On vous dira —à vous, le monde extérieur— que
c’est notre «culture» et notre «religion» de faire ceci ou cela aux femmes.
Sachez bien que celui qui en a décidé ainsi n’a jamais été une femme. Les
soulèvements arabes ont peut-être été déclenchés par un homme arabe —Mohamed Bouazizi, le vendeur des rues
tunisiens qui s’est brûlé vif par désespoir— mais ils seront terminés par
les femmes arabes.
N'attendons pas que nos Bouazizi meurent
Amina Filali —la jeune marocaine de 16 ans
qui s’est empoisonnée après avoir été forcée
à épouser son violeur, qui la battait— est notre Bouazizi. Salwa
el-Husseini, la première femme égyptienne à s’ériger publiquement contre les «tests
de virginité»; Samira Ibrahim, la
première à être allée devant
les tribunaux; et Rasha Abdel Rahman, qui a témoigné à ses côtés —elles
sont nos Bouazizi. Il ne faut pas attendre qu’elles meurent pour le devenir.
Manal al-Sharif, qui a passé neuf jours en prison pour avoir enfreint la loi de
son pays interdisant
aux femmes de conduire, est la Bouazizi d’Arabie saoudite. Elle est à elle
seule une force révolutionnaire qui s’oppose à un océan de misogynie. Nos
révolutions politiques ne réussiront pas si elles ne sont pas accompagnées de
révolutions de la pensée —des révolutions sociales, sexuelles et culturelles
qui renverseront les Moubarak dans nos esprits autant que dans nos chambres à
coucher.
«Vous savez pourquoi ils nous ont soumises à
des tests de virginité?», m’a demandé Samira Ibrahim après que nous avons
défilé des heures en l’honneur de la journée internationale de la femme au
Caire le 8 mars. «Ils veulent nous faire taire; ils veulent chasser les
femmes pour qu’elles retournent à la maison. Mais nous ne bougerons pas.»
Nous ne nous réduisons pas à nos foulards et à
nos hymens. Ecoutez celles d’entre nous qui se battent. Amplifiez les voix de
la région et regardez de près la haine dans ses yeux. Il y eut un temps où être
islamiste était la position politique la plus vulnérable en Égypte et en
Tunisie. Sachez qu’aujourd’hui, ce pourrait bien être celle de la femme. Comme
ça l’a toujours été.
Mona Eltahawy
Traduit par Bérengère Viennot
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