lundi 20 août 2012

Jane Grey, reine malgré elle, décapitée à 17 ans



Cet article est le 6ième d'une série "Les femmes de la Renaissance" en partie bilingue réunie ici (lien)




Après sa mort, le bon Henry VIII aimé du peuple, mais qui avait la particularité d'avoir usé 6 femmes, ce qui, même à l'époque où les mecs étaient couramment trois fois veufs [les femmes mouraient beaucoup en couches, -et elles en avaient en moyenne 10- ce qui était très pratique par parenthèse car la dot restait au mari *].. mais tout de même 6 représentait une sorte de record, l'une plumée et répudiée pour ne pas avoir réussi malgré 9 grossesses à lui livrer un fils vivant [mort, quoique tout aussi pénible, ça n'offrait pas le même intérêt..] et peut-être ensuite empoisonnée ou disons morte à un moment opportun; la seconde, décapitée pour les mêmes raisons; la troisième, sans doute césarisée vivante pour en extraire enfin un mâle qui du reste lui fit peu d'usage; la quatrième, bafouée, illico mise à la porte et qui depuis reste dans l'histoire comme pas assez sexy; la cinquième, identiquement décollée à 18 ans pour l'avoir trompé avec de beaux jeunes gens afin de se changer d'un vieux mari obèse et malodorant; et la sixième qui réchappa de justesse et devint enfin sa veuve (ouf) .. Henry donc qui avait tour à tour déclaré bâtardes ses deux filles (Mary issue de Catherine la catholique, et Elizabeth, la fille d’Anne Boleyn, protestante), laissa l’Angleterre dans un imbroglio successoral inédit encore compliqué par les deux religions ennemies des deux reines putatives. L’aînée notamment, Mary qui sera dite ensuite non sans raison "la sanglante" [quoique globalement elle eût six fois moins décapité que son père] terrorisait les protestants, assurés de se voir hachés ou brûlés vifs si elle montait sur le trône.. tout comme dix ans auparavant, aux beaux temps de la gloire d’Anne et du schisme, ils avaient massacrés ceux qui s’y opposaient. L’arroseur arrosé version Tudor, réversible à l'infini.. qui eut le mérite de soulager le peuple anglais d'une bonne partie de ses élites belliqueuses, ambitieuses et ruineuses, et de récupérer les biens de l’Église dont hélas ils ne profitèrent pas. 

Chaque faction, chaque affidé d’une religion -ou seulement engagé par arrivisme- redoutait l’une ou l’autre des deux filles c'est-à-dire de toutes manières un bain de sang car Mary étant de 17 ans plus âgée qu'Élisabeth et en piètre santé, le renversement de la hache à sa mort serait inéluctable. Pas facile d’être un courtisan anglais à l’époque. Restait le seul fils qu’Henry avait pu concevoir.. protestant mais tempéré par son oncle Edward Seymour auto-proclamé sans rire "protecteur", Édouard VI qui malheureusement allait fort mal… Sous la coupe du tonton, il signa juste avant sa mort à 16 ans la destitution de ses deux demi-sœurs "bâtardes", ne faisant que reprendre les diktats d’Henry, lequel, versatile, contredisait régulièrement ses ordonnances... [si bien qu'on ne savait jamais de quel côté il fallait virer pour éviter la hache..] et dans la foulée, il nomma Jane sa successrice.. et voilà le tour joué. Notons que l’on n'avait pas demandé son avis à la jeune fille. Et ce qui devait advenir advint. 

Mary, l'héritière -presque- légitime dont on savait l’ardeur pour la hache, outils d’écartèlement, allumettes ou ce qui en tenait lieu réagit d'autant plus vigoureusement qu'elle savait sa mort programmée en cas de réussite du complot. Pourtant les protestants avaient avec Jane une héritière -presque- légitime, de leur religion, mais modérée et première dans la lignée -si on exceptait les deux filles "bâtardes" d'Henry-; ils arguaient de surcroît de la volonté d'Édouard. Pourquoi pas Elizabeth? Impossible: s'appuyant sur son illégitimité pour éliminer la Sanglante, mettre sur le trône à sa place une descendante elle aussi déclarée bâtarde.. et de surcroît la fille d’Anne Boleyn (!) la reine haïe décapitée pour "adultère" aurait fait jaser. Par parenthèse, cette "impossibilité" lui sauva sans doute –de justesse- la vie. 


Jane Grey et son aïeule (lien)

Elizabeth d'York, mère d'Henry
C'est donc Jane qui fut "élue" malgré elle. Née en 37, érudite, philosophe malgré son jeune âge, son enfance fut dramatique –maltraitée par ses parents- ; fille de Frances, elle-même fille de Mary Tudor sœur d’Henry VIII et de Charles Brandon, le favori du roi -qui lui pardonna in extremis d'avoir sans son accord épousé sa frangine, crime de trahison passible de mort, grâce à Wolsey dont cependant il participa fortement ensuite à la chute suivie de sa mort, peu reconnaissant, le pépé de Jane- elle fut donc mise devant le fait accompli, on lui ordonna en quelque sorte "sois reine et tais-toi".
 
Nièce du roi, sans problème de bâtardise, elle était l’idéal pour remplacer la terrible Mary, par parenthèse sa cousine germaine et avec laquelle elle avait été en partie élevée; ses parents l'ayant larguée à 10 ans, Catherine Parr, la dernière épouse du roi avait réuni et éduqué la disparate et œcuménique nichée de son versatile et décapiteur de mari, formée de la peu aimable Mary la catho, l’aînée, de 17 ans plus âgée que la seconde; d’Élisabeth l'intello, la protestante, sa préférée; d’Édouard le plus jeune, l’unique et fragile fils de Jane Seymour, protestant surtout par obligation ; et de Jane Grey, la petite-nièce malheureuse et brillante, protestante de vocation, plus jeune qu’Élisabeth de 4 ans. Lorsque Catherine Parr -remariée après la mort du Roi- mourut en couches en 1548, Jane, contre sa volonté, fut mariée par sa mère à Guilford, le fils du duc de Northumberland John Dudley qui voyait en elle un levier pour atteindre le pouvoir et mettre en place une reine réformée qui aurait calmé le jeu. Qu’il lui fît ainsi courir un risque vital -ainsi qu'à son propre enfant- n’était pas le problème. Raison d'état. Il se voyait père du Roi fût-il consort.

Et comme prévu, juste après la mort d'Édouard VI, Northumberland fit proclamer reine Jane sa bru… escomptant par la même occase que son fils devienne roi consort. Elle s’y refusa, consciente d’avoir été manipulée et ne lui accorda que le titre de duc de Clarence. De toutes manières, cela ne durera que 9 jours. Mary, terrée, se sachant vouée à la mort, parvint à réunir en ce court laps de temps une armée qui sera vainqueur et portée en triomphe à Londres se fera presto reconnaître reine légitime. Le peuple n'a pas oublié Catherine sa mère, honteusement répudiée, emprisonnée dans une sinistre forteresse, définitivement séparée de sa fille jusqu'à sa mort -douteuse- malgré tout ce qu'elle avait fait pour l'Angleterre, à commencer par offrir son immense fortune au roi. Jane est donc arrêtée avec son mari et go direction la Tour dont en principe on ne revient pas.. Exception, Elizabeth, elle aussi arrêtée le 17 mars 54 après un second acte du complot qui semble-t-il, l'eût cette fois mise, elle, au pouvoir -Jane étant out-.. Élisabeth qui parviendra à persuader sa demi-sœur qu’elle n’est pour rien dans l'affaire, mais qui sentit à cette occasion le vent de la hache tout près de son cou. Elle sera libérée sans explications le 19 mai, après 3 mois d'attente (!) le 19 mai, jour anniversaire de la décapitation de sa mère Anne Boleyn, ce qui est à coup sûr un message : Mary, qui disait que "ç'avait été le plus beau jour de sa vie" (!) à sa manière avait de l'humour. Que la fille de la "pute" -c'était le mot consacré pour désigner Boleyn- puisse sérieusement représenter un danger successoral pour la descendante des rois d'Espagne qu'elle était, impossible.. Cette soi-disant "demi-sœur" -qu'on disait issue d'un pote du roi- ne valait même pas la hache, réservée aux "vrais".. [en quoi Mary se trompait.]

 A toute chose malheur est bon! Et aussi, autre conséquence heureuse, c'est à la Tour qu'Élisabeth connut -jusqu'à quel point?- celui qui devint le grand amour de sa vie, le beau Robert -Dudley, fils de John l'initiateur de l'affaire- comme elle en liste d'attente-hache : un lien indissoluble se noua entre eux en ces circonstances, qui ne se démentit jamais même lorsqu'il la trompa honteusement très longtemps après avec sa propre cousine, plus jolie.. Il re passa à cette occase tout près du billot.. puis elle décida de pardonner, elle l'aimait, un tel geste eût été une tache sur son image et après tout, n'était-ce pas elle qui avait refusé de l'épouser... certes après qu'il eût probablement occis sa femme -car beau Robert était marié et Amy, malade, mettait un peu trop de temps à mourir. On la retrouva morte en bas d'un escalier mais avec un curieux coup sur l'occiput assez mal positionné. L'enquête conclut qu'elle avait sans doute les vertèbres fragiles. Certes. Leurs relations cependant devinrent un peu plus discrètes pendant un certain temps.]

Guidford Dudley, décapité à 19 ans

Notons ici que l'exécution des comploteurs (février 54) ne fut pas immédiate mais eut lieu 7 mois après le règne-éclair de Jane (juillet 53.) Contrairement à ce qu'eût fait Henry, Mary, plus retenue, et puis il s'agissait après tout de la gentille et jeune cousine avec laquelle elle avait joué -plus exactement dont elle s'était occupée- enfant, qui sans nul doute avait été instrumentalisée. L'aurait-elle épargnée sans la rébellion -juste après- de Wyatt, soutenu, circonstance aggravante pour Jane, par son propre père, Suffolk, récemment libéré? -Décidément, la longanimité ne payait pas dans cette famille : il fallait tuer ou être tué; ainsi Mary se décida-t-elle enfin, sans doute un peu triste, hop la hache qu'on n'en parle plus-. Il faut dire qu'elle avait décidé d’épouser Philippe le roi d’Espagne remettant de fait l’Angleterre entre les mains d’un catholique allumé c'est le cas de le dire, fan comme elle de bûchers et tout le tremblement.. un mariage bouffon qui la ridiculisa: trop âgée pour concevoir, performance d’autant plus improbable que son mari peu enthousiaste repartit assez vite en Espagne, mais le désirant passionnément, elle ne cessa de faire des grossesses nerveuses au cours desquelles elle enflait et désenflait, tenant en haleine le public de toute l'Europe impatient de voir ce qui allait en sortir : rien. C'est ce mariage avec un ennemi dangereux, perçu comme une trahison, qui fut le moteur du second complot Wyatt-Suffolk... et qui causa la mort de Jane et d'autres "comploteurs", vrais ou faux.

Le 12 février 1554, Guidford, son mari (19 ans) est exécuté en public quasiment sous ses yeux (elle a 17 ans) –on faisait passer le plus important en dernier, les autres étant décollés devant lui ou bien leur tête décorativement enfilée sur une pique était exposée dans les couloirs de leur geôle à côté des torches.. voire promenée sous les fenêtres des suivants, question d'ambiance, ce fut le cas ici-.. Jane donc fut décapitée juste après lui mais en privé, honneur fait à ceux de sang royal, très relatif car les portes de la Tour restant ouvertes, tout le monde pouvait se presser au spectacle même si l’échafaud était discret et non surélevé (lien avec un récit à demi fantaisiste de son exécution soi disant relatée par le bourreau). A demi car il semble que sa jeunesse, son innocence et surtout sa beauté aient effectivement traumatisé le -jeune- homme de l'art peu habitué à une telle clientèle. [Le passage -du lien- sur la décapitation ratée de Mary Stuart en revanche est exact, le bourreau, impressionné de devoir se charger d'une reine manqua son coup, la hache demeura fixée sur la nuque de la victime hurlant de douleur -une "victime" par ailleurs criminelle de guerre mais également poétesse, amoureuse, remarquable cavalière et courageuse chef de guerre toujours à la tête de ses hommes même enceinte (!) ainsi que belle et érudite; la consanguinité donne de curieux résultats-.] 

Le père de Jane, Suffolk, un des leaders, sera exécuté 11 jours après.

* Il était fréquent et même la règle qu'un jeune homme fût obligé d'épouser une femme parfois sans attraits, plus âgée etc.. uniquement pour sa dot ou sa position, tel -longtemps après- le petit-fils de la Sévigné -qui renaudait, il était amoureux- qu'elle admoneste savoureusement dans une lettre peu connue au sujet de son "égoïsme puéril", la toiture du château de ses parents fuit et doit être réparée, voyons, où avez-vous la tête? etc.. Peu rancunière, la Marquise car son gendre avait agi exactement de même envers sa fille et après avoir dilapidé sa dot -et un peu la fortune de belle-maman- se trouvant dans la dèche, comptait user de son fils ou plus exactement d'une bru pour se renflouer comme il était d'usage, sans déroger le moins du monde. D'où l'intérêt des mortes en couches éliminant les épouses toujours très reproductives chez les nobles (9, 10 enfants)..  pour faire place à d'autres, plus juteuses à deux titres. (Lien avec l'article sur l'accouchement.) 


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