jeudi 23 août 2012

Anne Boleyn, un fils ou la hache

Deuxième de 6 articles "Les femmes à la renaissance" dont les liens suivent et réunis ici (lien)
Second of 6 articles "Women of Renaissance", links following :
Jane Gray, reine malgré elle. French 
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Voir aussi "Anne Boleyn, une endométriose mortelle" (images d'utérus)
 http://femmesavenir.blogspot.fr/2013/12/anne-boleyn-une-endometriose-mortelle.html





Traduction du poème (lien)



Une autre histoire du schisme anglican, qui n'a rien avoir avec les romans ni les "Tudor"

Au 16 ième siècle, deux géants se partagent l'Europe et le Moyen-orient : Soleiman, Sultan de l'Empire Ottoman réputé invincible et Charles-Quint, Empereur du Saint Empire Romain Germanique [qui réunit en lui les deux dynasties européennes les plus puissantes, par sa mère la reine Jeanne, celles des rois catholiques d'Espagne Ferdinand et Isabelle, et par son père Maximilien, l'Autriche-Hongrie ; avec ses colonies; le soleil ne se couche en effet jamais sur ses terres... jouxtant dans les Balkans celles du turc.] Les deux autres puissances -moindres- sont la France de François 1er et, plus faible, l'Angleterre de Henry VIII Tudor, qui se coalisent, se trahissent, se réconcilient.. tentant de s'allier Charles, de le réduire ou de le flagorner. L'ennemi commun est cependant Soleiman.

Mais voilà ! Ferdinand et Isabelle, à l'époque récents rois d'Espagne -par une usurpation du trône de Castille par Isabelle*- mais déjà riches par leurs colonies avaient marié leur fille Catherine à Arthur, dauphin d'Angleterre qui mourut à 16 ans. 

[Les princesses étaient couramment utilisées pour sceller de nouvelles alliances entre parfois d'ex belligérants.. si bien qu'elles se retrouvaient, très jeunes, brutalement séparées des leurs et livrées à un mari parfois âgé et dans un pays qu'on leur avait appris à haïr et dont la plupart du temps elles ne parlaient pas la langue.. ou otages en cas de retournement de situation -si la juteuse alliance qu'elles représentaient s'avérait inutile voire funeste- jusqu'à la mort opportune quelque fois.. ou seulement détestées, moquées par tous comme en témoignent les surnoms qui leur étaient attribués, l'''autrichienne'', la ''palatine'', la ''grosse banquière'' etc... Il est vrai qu'il ne faisait pas bon d'être la sœur, la cousine ou la tante d'un roi avec lequel le pays dont elles étaient reines ou princesses était en guerre et que l'on pouvait redouter leur ''trahison''. Ce fut le cas de Catherine: lorsque son père Ferdinand, devenu veuf, aux prises avec les nobles castillans, ne représenta plus la garantie d'une force militaire utile en cas de conflit, elle fut traitée comme un encombrant. Mais elle eut de la ''chance'' si l'on peut dire.]

Sa dot était énorme et le rusé et avide Ferdinand pouvait, en cas de renvoi de la jeune veuve, en réclamer la restitution. Pour éviter cette catastrophe, Henry VII, tout aussi rapace [après une période d'hésitation au cours de laquelle la jeune exilée fut confinée, à l'écart, démunie de tout jusqu'à la faim -son père n'avait pas payé intégralement la somme promise!-].. Henry VII donc lui avait fait épouser son fils cadet, le futur Henry VIII. Celui-ci est donc l'allié de Charles, son neveu par alliance. Mais malgré neuf (?) grossesses, la malheureuse ne parvint à avoir d'autre enfant vivant que la sordide Mary dite la sanglante, catholique fervente comme elle... et complètement allumée. [A ne pas confondre avec la belle Mary Tudor, sœur de Henry donc tante de la fada, une personnalité toute différente -qui renonça à un trône pour épouser l'homme qu'elle aimait, Charles Brandon, bravant l'interdiction d'Henry.. au risque de sa vie et de celle de son mari.-]




L'Empire Ottoman à présent. Armé de canons à longue portée inconnus à l'époque, il menaçait Charles.. déjà aux prises avec François en Italie. Et c'est après sa victoire contre le français à Pavie -le "désastre" de Pavie- qu'aux abois, François s'allie avec.. Soleiman le musulman! Un coup de théâtre comme on n'en a jamais vu. Tout est là.
 
Car entre temps, Henry a décidé lui aussi du coup d'éclat qui ébranla le monde, divorcer... de Catherine, la fille des rois catholiques d'Espagne (et surtout la tante de Charles qui est le fils de sa soeur Jeanne -dite "la folle", tout un programme-, et de l'empereur Philippe d'Autriche dit le "beau").. pour se remarier et avoir un fils. Henry se met ainsi à dos le plus puissant monarque de la chrétienté.. (et Rome). François adore, belle vengeance après Pavie que cette impensable humiliation que le Tudor inflige à son vainqueur, répudier sa tante après l'avoir plumée, et pour une quasi roturière, la faire incarcérer dans un sombre château loin de tout pour qu'elle cède et déclare son mariage nul -au prétexte opportunément ''découvert'' qu'elle avait été l'épouse de son frère- et déclarer leur fille bâtarde. Y est-il pour quelque chose, le beau roi de France que tout le monde admire? Peut-être. Tout ce qui peut amoindrir Charles son ennemi est béni. Voilà donc François et Henry [provisoirement] alliés contre le géant. Amoureux d'Anne Boleyn, le Tudor ? C'est ce qu'on retient. La réalité est plus complexe. Prenons l'affaire chronologiquement.

D'abord qui est Anne? Elle n'est pas comme on l'a souvent dit une jolie femme brillante et intrigante ou plutôt elle est bien plus. Son ascendance déjà est peu courante: elle est issue d'un mariage improbable entre Élisabeth Howard -une des familles les plus illustres du royaume mais pas des plus riches descendant de Saint-Louis-.. et Thomas Boleyn (1), un beau parvenu d'abord attaché à Henry VII, sur-doué mais d'origine obscure -sans doute son aïeul fut-il un marchand de draps* qui, fortune faite, fit instruire ses fils qui se lancèrent en politique, jusqu'au plus successfull, Thomas qui réussit ce mariage unique avec une Howard-. Diplomate, parlant quatre langues et copinant avec l'élite européenne, Thomas lui aussi soigna l'éducation de ses enfants, filles et garçon à égalité. Des trois, Anne fut la plus prometteuse.

* Oui, la famille est d'origine paysanne il y a seulement quatre générations et s'est enrichie (pas toujours très légalement, ainsi que le montre les procès d'un ancêtre qui avait la fâcheuse manie de déplacer les bornes de ses terres, apparemment sans en avoir été réellement inquiété si ce n'est par quelques amendes) et élevée rapidement à chaque fois, par le négoce ensuite mais aussi par les femmes, les fils Boleyn ayant convolé à chaque fois avec des épouses improbables, au départ de petite noblesse puis de plus en plus titrées.. jusqu'au trône pour Anne, un cas étonnant ; l'essor de cette famille, c'est déjà l'essor de la bourgeoisie commerçante et cultivée (et des femmes) qui a judicieusement lancé ses enfants en politique, une bourgeoisie brillante ensuite anoblie à coup d'unions, de savoir faire et de services rendus. C'est également l'essor de la compétence et surtout d'une fantastique ambition. Et de l'argent.
 Voir http://pagetournee.blogspot.com/2015/08/boleyn-la-famille.html


Il l'envoie alors à 12 (?) ans (comme on ignore son âge à cinq ans près, peut-être à 7) aux Pays-bas, à la cour d'une amie proche, la régente Marguerite d'Autriche, un lieu de culture et de liberté -lisez la Sorbonne- où elle côtoie le gratin intellectuel et artistique de l'époque, théologiens, philosophes, poètes, musiciens.. Elle s'en imprègne, perfectionne son français, écrit, joue de la musique, danse à la perfection et se fait apprécier par sa grâce, son assiduité à l'étude, sa vivacité, son humour. (C'est sans doute là que naitra chez elle son engagement -au départ secret- pour la Réforme.) Frêle, brune au teint bistre, un nez trop long, une petite poitrine, une chevelure de jais mais de grands yeux noirs dont elle joue en virtuose -de nos jours elle serait séduisante- elle n'est pas "belle" ["vive", "charmante", "drôle" disent d'elle même les plus flagorneurs lorsqu'elle sera reine] n'ayant rien des claires et pulpeuses beautés alors à la mode. 


Catherine et Anne (durant son procès)

Observons ici que, contrairement à ce qui est la plupart du temps figudans les films, Catherine, la 1ère femme d'Henry VIII, blonde aux traits fins et réguliers, n'avait rien d'une matrone espagnole brune et sévère et les scénari de la maîtresse séduisante contre une épouse sans attraits ne correspondent pas à la réalité, au contraire. Selon les canons du 16ième, Catherine était belle, pas Anne. Qu'importe, c'est justement par sa singularité et surtout son intelligence, sa culture, son esprit et son élégance qu'elle se créera un style, une place. Qu'elle fascinera. Un événement va la servir.

La reine Claude
Margaret Beaufort
La France est alors la puissance intellectuelle incontestée; tous les aristocrates européens affectent de parler la langue riche et élégante d'un pays prestigieux -plus trop militairement cependant-. Mary, la jeune sœur d'Henry ayant épousé bien malgré elle le vieux roi de France Louis, Anne est nommée dame 

d'atours. La voilà dans le pays de la culture. Parée de ses succès précédents chez Marguerite, autour d'elle se pressent de nombreux admirateurs, poètes, artistes de tout pays, Thomas Wyatt notamment le plus célèbre et le plus fervent qui lui dédie des élégies (2). Et lorsque Mary, sa "colle" achevée -Louis est enfin mort, assez rapidement !- repartira trois mois après, Anne restera comme suivante de la nouvelle reine, Claude, l'épouse infirme et trompée du nouveau roi, François 1er, qui mourut d'épuisement à 24 ans à sa 7ième maternité -elle n'a guère laissé son nom qu'à des prunes qu'elle affectionnait-.. la bonne reine qui appréciait la "petite Boleyn" si vive, si drôle. (Note : princesses et reines avaient couramment jusqu'à dix maternités dont les premières adolescentes, treize ans par exemple pour Margaret Beaufort -mère de Henry VII-, quatorze ou quinze ans pour Claude.. seize pour sa petite fille 
également nommée Claude -seconde image- qui mourut en couches à 28 ans à son dixième enfant.. et également très tardives -lorsqu'un fils mourrait-, 37 ans pour Elizabeth d'York, mère de Henry VIII, qui en mourut aussi..)



Et le roi François? L'appréciait-il lui aussi, la "petite Boleyn" ? Sans doute. Jusqu'où ? Mystère. Elle n'affiche jamais de liaison, même royale s'il y en eût, et de ce passé, à part les poèmes codés de Wyatt, nous savons peu. Sage? avisée est plus probable étant donné les mœurs du temps -pour un prestigieux mariage, une dame même en vue doit paraître irréprochable.- Ajoutons que son parfait bilinguisme fait d'elle l'interprète privilégiée des entrevues princières ou mondaines. 

 

Elle suit puis fait la mode, son audace vestimentaire, son style français marqueront ensuite l'Angleterre, l'Atiffet ou le minuscule bonnet notamment qu'elle préfère aux lourdes coiffes espagnoles à pignon -il met en valeur sa chevelure lâchée dans le dos.- On cite ses traits, elle est un personnage. La voilà prête. En 1522, son père lui ordonne de rentrer. Elle quitte sa seconde patrie -elle est restée en France huit ans, un tiers de sa vie- et rallie la sombre Albion où l'attend une brillante carrière. Et la mort. 
 
Le rusé François qui cherche alors partout, en Hongrie, en Pologne, des alliés contre Charles, Charles encore ami d'Henry -mais plus pour longtemps- a-t-il joué un rôle dans sa fulgurante et unique ascension, promouvant une francophile de talent pour avoir une amie en place chez le fourbe -et manipulable- anglais? Si c'est lui qui a combiné l'affaire, on peut dire qu'il a réussi au delà de toute espérance. Qu'elle ait été une de ses proches représentait pour Henry puérilement jaloux du beau français un "must". C'est ainsi que tout naturellement il en tombe amoureux -il l'était déjà-, fasciné par son parfum d'exotisme et sa liberté d'esprit. Leur roman n'est pas "la bergère et le prince" mais la star et le roi... dans le pétrin. Car Henry s'est décidé, il va larguer Catherine, il veut un fils, et après un divorce d'avec la tante de Charles Quint et ce qui va suivre (!) aucune princesse ne voudra de lui. Anne brigue donc un poste qui malgré son prestige est impossible à pourvoir. A défaut d'une riche et puissante alliance, Henry qui veut surtout une pondeuse, choisit donc la meilleure candidate -un bon choix du reste quoiqu'il en ait crû puisqu'elle donnera naissance Élisabeth.- Noble qu'à demi, et encore ? Il fait comte son père et elle, marquise et voilà son ascendance boutiquière gommée.  

Amoureux? En tout cas il ne perd jamais le nord. Sa devise, l'utile et l'agréable. Les lettres enflammées qu'il lui écrit? N'en écrit-il pas de même à François juste avant de le trahir ? Ne plaisante-t-il pas en ami avec Cromwell quand il a déjà ordonné sa mort? C'est son style, infantile, capricieux, goulu, influençable... et dissimulé, fourbe, déterminé et implacable.

Et c'est la rupture avec Rome. La voilà Reine. Suivent la confiscation musclée et brûlante (!) des immenses biens de l’Église et les décapitations en chaîne. Elle portera le poids du schisme, du sang. A présent haïe, la muse des poètes devenue fan de Tyndale, défenseur du pouvoir absolu du roi contre l'église, le fait découvrir à Henry ébloui, pensant s'ériger un socle quand elle creuse sa tombe. Pour lui l'essentiel est la richesse et un fils, elle lui apporte les deux, l'argent de l’Église -en un sens, plus que ne lui a jamais rapporté Catherine!- et bientôt un héritier, vite, il a 42 ans, elle, entre 28 et 34, il est tard. Las, c'est Élisabeth qui vient au monde... Et au troisième mâle mort-né, de surcroît difforme (3), son sort est scellé. Catherine est morte trois mois avant, ça tombe bien. Trop bien même. Un empoisonnement, des douleurs au ventre et dans la poitrine la tenaillaient depuis la captivité où l'avait réduite le roi -elle refusa toujours de déclarer nul leur mariage et bâtarde leur fille, malgré ce qu'on peut appeler des pressions qui confinaient à de la torture-? On l'a dit, puis démenti. Qui ? Anne? Rien ne le prouve : au contraire, c'est plutôt Henry qui avait intérêt à cette mort. Pas elle, qui devait se douter qu'elle allait alors passer dans la charrette au cas où l'enfant serait une fille ou un garçon mort né. Is fecit cui prodest. Catherine disparue, il suffisait à Henry de se débarrasser d'elle (facile) pour pouvoir se remarier sans entraves, sans ''blesser'' personne, et enfin avoir un fils; veuf (pour les catholiques) de la seule épouse qu'ils lui reconnaissent... et veuf aussi (pour les protestants) d'Anne ! C'est prévu. 

(Son choix de Jane Seymour n'est pas seulement amoureux mais aussi judicieux, comme toujours avec Henry : cette soumise un peu terne est plutôt pro ''catholique'' -évidemment sans trop l'afficher-, encore fidèle, si ce mot peut avoir un sens, à Catherine la reine déchue dont elle fut dame d'atour, comme celle d'Anne d'ailleurs. Courageuse également : elle tentera et réussira à rapprocher Henry de sa fille aînée Mary, toujours bannie -comme sa mère, l'irrédente refusait de reconnaître la nullité du mariage dont elle était issue donc sa bâtardise-.. attitude qui de la part de Jane n'est pas dénuée d'une certaine élégance.. et bravoure. Il ne faisait pas bon s'opposer à Henry sur cette question cruciale et en règle générale sur aucune autre. Il le lui signala plus tard une fois mariés et en termes très directs lorsqu'elle tentera en vain d'intercéder en faveur des pilgrims catholiques condamnés au bûcher malgré ses promesses de pardon. ("Pensez à ce qui est advenu à votre précédente lorsqu'elle a voulu se mêler de mes affaires" lui aurait-il dit crûment. Comme ça c'était clair !) Docile, Jane? Peut être pas tant que ça. Elle aussi, comme Anne, aura l'intelligence de se mettre à prix : le mariage ou rien. Souple, généreuse ? Pas si sûr. Pouvait-elle ignorer ce qui allait s'ensuivre? Manipulée par sa famille, les Seymour de triste réputation? Oui, mais elle a fort bien joué sa partition. Une ''douce'' jeune fille qui met la dernière main à son trousseau pendant que l'épouse en titre, sa maîtresse, enceinte, court à la hache si l'enfant est une fille.. ou un mort-né. Il est vrai qu'Anne avait fait de même; il est tristement révélateur que ces femmes qui se haïssaient aient dû se côtoyer dans une totale intimité quotidienne, le Roi choisissant systématiquement ses ''futures'' dans le cercle fermé des ''dames'' de la Reine ou les y faisant admettre au cas où il s'agissait d'une out sider. Ambiance ! cruautés infinies, la nouvelle promue promue se vengeant de l'ancienne qui l'avait parfois piétinée.. devenant son tour victime d'une autre, souvent avec la bénédiction de la précédente etc..)

De fait, Anne est mal. Reine? Mais sa position ne tient que par Henry. Il va faire coup triple. Les anglais l’abhorrent, redoutant la vengeance de Charles seulement différée par la guerre que lui inflige François, et le sang versé par sa faute, en fait surtout celle d'Henry mais le peuple s'en prend toujours au maillon faible, à une femme, surtout une consort. Henry joue le jeu. Ce fan de la hache et des bûchers ne réagit pas lorsqu'en public fusent les mots "pute". Verrait-on de nos jours l'épouse d'un Président ainsi insultée sans réaction de sa part? D'où ses crises de rage. Il faut dire qu'elle provoque, sa devise -"la plus heureuse"- sonne mal au moment des décollations de More et de Fisher et des crémations de moines. Sa course au pouvoir puis au fils qu'elle ne parvient pas à fournir, une course contre la mort comme il ne le lui laisse pas ignorer (!) les terribles colères d'Henry, sa vie entière est une danse au dessus d'un volcan. Elle fait front, sourit, plaisante toujours mais s'use, se durcit et parfois se déchaîne. Elle est seule. Son père, prudent, a pris ses distances, sa famille la lâche, il n'y a que son frère -de faible poids- pour lui rester fidèle. Arrivée au bout de son habileté de courtisane de haute volée c'est à dire au pouvoir, elle agit comme tout potentat mais sans la force qui l'autorise ; à elle, rien ne sera pardonné. Surtout à présent qu'elle a raté sa carrière de pondeuse. Elle a entre 29 et 34 ans et après 3 ou 4 (?) fausses couches ou mort-nés, c'est fini. Un fils ou la hache, nul ne songe que dans un tel contexte, réussir à porter à terme un enfant viable serait pour n'importe quelle femme un miracle . Henry va s'en défaire. -Il a déjà la remplaçante.- Coup triple donc, comme toujours : un fils, la liesse populaire -tout est de sa faute, le sang a vengé le sang, on oublie tout et on recommence..- et surtout la faveur de.. Charles ! Voici l'occase.

François, battu à plates coutures à Pavie par Charles, humilié, un temps emprisonné, vient donc de signer ce traité d'alliance avec Soleiman -les ennemis de mes ennemis sont mes amis-. Le tout puissant calife des musulmans allié à un chef de la chrétienté, pour Charles, c'est une catastrophe, une trahison qui n'a encore jamais eu sa pareille dans l'Histoire. Henry flaire le vent, c'est le moment pour lui de jouer. Partie délicate mais à présent que le géant a l'épée de Soleiman dans le dos, jouable... Le passé est le passé, Catherine, les prêtres brûlés et autres broutilles comptent peu devant les menaces qui pèsent sur le colosse ébranlé. Raison d’État, s'il a réglé son compte au français et si Soleiman est de force égale, les deux coalisés peuvent l'anéantir... et si on y ajoute le roi d'Angleterre -riche à présent des biens de l'église- c'est la fin. Il ne peut plus faire le difficile, Charles, même l'affreux tonton Henry est bon à prendre. Certes il y a sa "pute aux yeux de vache"(4) qui plastronne toujours mais.. il existe un moyen simple de se faire pardonner. Non? 


Et le 19 mai 1536 à 9 heures, trois mois après le traité d'alliance entre François et Soliman signé le 4 février, devant une foule de 2000 personnes environ qui la conspue, la tête d'Anne roule sur le green d'un coup d'épée, -plus ''confortable'' disait-on que la hache-. Une exécution ''privée'' (!) ce qui voulait simplement dire que l'échafaud n'était pas surélevé. Henry est un rapide. C'est fait! Content, Charles? 

Victime d'une sorcière, qui peut lui reprocher ses terribles péchés s'il se repent et redresse la barre? On l'aime toujours. Et lui veut toujours un fils. Radieux, le jour même de sa décapitation il se fiance avec Jane Seymour qu'il épousera onze jours après et, réconcilié avec l'Empereur, fait la nique au beau François.. qui à présent se sent bien seul. Charles plus Henry contre lui, même avec Soleiman, ça fait beaucoup. 


Anne out, Charles revenu à de meilleurs sentiments, le peuple et Mary [sa fille issue de Catherine] débordant de joie -"le plus beau jour de ma vie" dit-elle!- François isolé, Henry exulte. Il aura enfin un fils, son but depuis le début.(5) Un homme de pouvoir comme un autre, un peu plus déterminé seulement.(6)

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On peut supposer qu'il trinque alors avec Charles. Diantre, à tous deux, ils auront la peau de ce traître de François qui a osé s'allier à l'infidèle. Le fait est que Soleiman -faiblement aidé par le français- devra quitter le siège de Vienne après avoir lancé comme un défi qu'il reviendrait. Et Anne ? On ne sait même pas exactement où elle est enterrée [un coffre de fortune trop court fit l'affaire], dans la chapelle Saint Pierre ad Vincula mais où ? Même sa fille Élisabeth, désireuse de ramener le pays à la paix et de faire oublier qu'elle était née d'une femme encore haïe vingt ans après sa mort décapitée pour ''adultère''.. [Élizabeth reine par le hasard de sa robustesse -elle mourut à 69 ans, âge respectable pour l'époque, survivante à sa demi-soeur Mary décédée à 42 ans sans enfants et à son malheureux demi-frère Seymour qui lui n'atteint pas les 16-].. Élisabeth ne fit jamais effectuer de recherches ; ce n'est que trois siècles après, au cours de travaux ordonnés par Victoria, que l'on exhuma presque par hasard un squelette d'une jeune décapitée qu'on supposa celui d'Anne.. ou, ironie du sort, de Jane Parker, sa belle-sœur.. qui avait œuvré à sa perte en l'accusant d'inceste [et qui peu après, juste avant sa mort, jura qu'elle avait menti].. Jane donc, ensuite décapitée dans la foulée avec Catherine Howard, la cinquième épouse de ''Barbe bleue'' dont elle aurait caché -ou encouragé- les "infidélités", Catherine, la femme-enfant d'Henry décollée à 18 (?) ans sur les ordres du vieillard obèse et malodorant qu'il était devenu -une plaie purulente à la cuisse (7) impossible à cautériser-, exigeant l'exclusive de celle qu'il appelait sa "rose sans épines".


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(1) Il est comique -et so british !- que la plupart des historiens anglais, s'ils n'hésitent pas à gloser sur la probable impuissance, maladresse ou déficience sexuelle du roi, en revanche, shuntent souvent cette origine d'Anne comme s'il s'agissait d'une tache sur un personnage qu'ils veulent "nickel" (!) insistant sur les Howard et ne retenant des Boleyn qu'un grand-père -déjà !- homme politique secondaire.


(2) On remarque ici que Wyatt, le seul rescapé parmi ceux qui, emprisonnés à la Tour furent décapités.. fut aussi le seul à avoir été ouvertement amoureux d'Anne, ce qui montre que le procès, sans même que l'on cherchât à en faire mystère, n'était qu'une sinistre farce, un clin d’œil à Charles et une ouverture de la voie pour un fils enfin.

(3) Un enfant mort-né difforme étant, croyait-on, un signe du diable, il importait qu'Henry n'en fût pas le père, d'où son acharnement à plaider l'adultère afin que le "monstre" venu au monde ne fût par de ses œuvres. C'est cependant le seul indice -bien faible- laissant penser qu'Anne l'aurait conçu avec son frère pour pallier les déficiences sexuelles et reproductrices du roi, une question de vie ou de mort.

(4) Ainsi Anne était-elle appelée par ses ennemis, le pape notamment.

(5) Jane, la seule-aimée (!) en mourra aux termes de 2 jours de torture, sacrifiée par les physiciens qui dit-on la césarisèrent vivante pour extraire l'enfant -sa découpe l'eût sauvée-. Une femme se remplace aisément. Pas un fils.

(6) A sa décharge, Henry voulait éviter les guerres civiles qui avaient ensanglanté l'Angleterre avant l'usurpation du trône par son père.. un père qui, si abject eût-il été, avait ramené dans un pays déchiré un calme fragile qu'un simple vide successoral eût fait voler en éclats. Il avait été marqué à 11 ans par la perte de sa mère Élisabeth qui malgré ses 37 ans avait voulu assurer la récente dynastie Tudor avec un nouvel enfant -elle en mourut- après la mort de son fils aîné Arthur. Henry VII était sur un trône éjectable, roi seulement par elle, fille d’Édouard IV, en violation des règles de succession. Ce problème d'usurpation hantera aussi Henry VIII qui tout au long de son règne décapitera avec ferveur les prétendants légitimes au trône, parents proches et amis, Buckingham par exemple, adoré de tous.. Margaret, comtesse de Salisbury, la dernière des Plantagenêt -autrefois personnage essentiel de la cour de Catherine!- mère de l'irrédentiste cardinal Reginald Pôle, à l'abri, lui, en Italie [figure iconographique de l’Église, ce conseiller principal de Mary qui lui vouait une admiration sans bornes porte cependant la responsabilité du sang versé des protestants et des opposants qui valurent à la reine le surnom de bloody.. Règle de l'histoire : pour le sanglant, chercher la femme et pour le glorieux, l'homme... Une observation cependant : Mary, la "sanglante" donc, a en fait beaucoup moins décapité que son père Henry, à qui aucune épithète de ce genre n'est jamais accolée : 300 personnes en 6 ans de règne (50/ans) contre 10 000 en 36 ans (280/an) soit 5,6 fois moins : quelle que soit l'horreur suscitée par le personnage, on peut seulement en déduire que l'histoire est six fois plus exigeante envers les femmes qu'envers les hommes. (Lien)]

Anne
Elizabeth
L'erreur d'Henry fut de ne pas avoir vu en Élisabeth -la fille d'Anne!- celle qui allait réussir ce qu'aucun n'avait pu avant, vaincre (plus ou moins) l'Espagne et conduire l'Angleterre vers une ère durable de paix relative, de prospérité [et de piraterie!] qui ne se démentit plus. Dans son désir passionné d'un fils -ce fils tant désiré, débile, qui mourut à 16 ans- et de paix, il a été à l'origine d'un imbroglio successoral inédit et dramatique où le sang coula à flot et bien des têtes -de prétendant/es parfois malgré elles- tombèrent.. jusqu'à ce qu’Élisabeth, rescapée de justesse de la hache de sa terrible demi-sœur Mary ne parvienne au pouvoir, réconciliant enfin les belligérants.. et faisant oublier que, fille d'une reine décapitée pour adultère, elle avait été déclarée bâtarde -comme Mary!- par son propre père. Comme Anne -mais avec le pouvoir- Élisabeth sut exploiter les qualités qu'elle tenait d'elle pour naviguer au mieux parmi frères et cousins ennemis et leurs innombrables factions toujours prêts à en découdre la hache ou l'épée au clair. (Une vidéo cependant jette un trouble sur le personnage, l'accusant d'être responsable de la mort de l'épouse de Dudley, l'homme qu'elle aimait passionnément. http://femmesavenir.blogspot.fr/2014/05/femmes-dautrefois-elisabeth-assassin.html)

(7) Cela donne à penser qu'Henry, comme François, était syphilitique et aurait transmis sa maladie à ses femmes: le fait que ses premiers enfants fussent vivants mais ceux qui suivirent, tous morts-nés -quelles que fussent ses épouses- tendrait à le corroborer, de même que son horrible ulcère à la jambe qui ne guérit jamais, et à la fin de sa vie ses terrifiants délires au cours desquels il fit décapiter une partie de son entourage, pour un différent théologique, un château ou pour rien. 





Sa dernière épouse Catherine Parr, sans doute amie de Anne Askew** (lien), en réchappa de peu, faisant in extremis amende honorable, s'aplatissant littéralement devant lui -et puis elle seule parvenait à panser sa plaie sans le faire trop souffrir-: la garde était déjà à la porte pour la conduire à la Tour lorsqu'Henry, éclatant de rire à un trait, l'embrassa affectueusement et lui proposa même de faire décoller à sa place ceux qui l'avaient dénoncée pour hérésie -elle refusa-. 


La malheureuse ne profita pas de son veuvage ; ayant enfin épousé l’ambitieux Seymour qu'elle aimait déjà avant son mariage imposé avec le roi, celui-ci tenta de séduire -plus exactement de violer- sa jeune belle-fille Élisabeth âgée de 14 ans quand lui en avait 40 -étant donné son très jeune âge, le statut de Thomas, beau-père, adulte ayant autorité dirait-on de nos jours, même si l’adolescente consentit, c’est un viol- moyen efficace et courant de forcer au mariage une future reine [exemple Bothwell et Mary Stuart, lien]. Seymour, qui voulait surtout devenir roi consort, peu soucieux de se contenter d'un reine douairière riche mais sans pouvoir, s'était rabattu sur une pouliche plus prometteuse, Elizabeth, la jeune héritière du trône de droit. Et à 36 ans, voulant donner un héritier à son sinistre mari afin de le garder, Catherine en mourut.
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*Isabelle la "catholique" (lien) qui mérite ici une mention particulière est une sorte de Henry VIII au féminin (en y ajoutant une criminelle de "guerre") une championne de la trahison et de la manipulation dès l'adolescence, comme son mari Ferdinand : recueillie enfant par son demi-frère Henri, roi de Castille, de 23 ans son aîné, qui voulait sauver cette jeune demi soeur de la misère et de la quasi captivité dans un château obscur où la confinait sa mère démente (avec son frère Alphonse).. accueillie à sa Cour avec tous les honneurs malgré sa situation défavorable reliée aux dispositions testamentaires de leur père commun le roi Jean, dont il ne tint pas compte... elle le remercia de bien curieuse manière. C'est à dire qu'elle sut saisir le hasard : les nobles voulant comme toujours susciter un contre pouvoir, misaient sur Alphonse pour renverser ou seulement succéder à Henri.. Mais voilà ! Alphonse mourut fort opportunément, empoisonné (?) par qui (?!) et ils se rabattirent alors sur elle. Restait tout de même la fille unique de Henri, héritière du trône de plein droit.. Qu'à cela ne tienne, Isabelle et sa faction firent passer le roi pour cocu et impuissant (c'est le nom qu'il porte depuis dans l'histoire) déclarant sa fille Jeanne bâtarde (qui est encore appelée "beltrajana", du nom du supposé amant de la reine dont elle serait issue, le Comte de Beltran).. Puis, Henri mourut (fort opportunément lui aussi) empoisonné.. et, avertie en premier (?!) Isabelle, sans attendre, seule (ceci avant même la "victoire" ambiguë de Toro -qui fit 10 000 morts- contre les partisans de Jeanne) eut ce geste à la Charlemagne: à cheval, ses blonds cheveux dénoués, elle se couronna elle-même devant la foule de l'Alcazar, proclamant ainsi qu'elle ne devait son trône qu'à elle et non à son mari ni à ses supporters, les redoutables Cortès.. (Croyant avoir suscité un pion, c'est en fait eux qui avaient été utilisés.)
 
(On observe ici la ressemblance entre la mère et la fille)

 
Son mariage -en principe interdit- avec Ferdinand d'Aragon -qui, question duplicité, ne lui devait rien!- avait encore renforcé sa position. 

Ensuite, elle fonda l'Inquisition avec Torquemada, son confesseur préféré, qui perdura des siècles. Sa chance: avoir prévu le profit à tirer (l'or) de l'Amérique et armé Colomb, d'où l'effroyable génocide des Indiens qui commence là. Épilogue : Jeanne finit ses jours au couvent.. tout en continuant à signer ses écrits "Moi, Jeanne, Reine de Castille".. et Isabelle a failli être canonisée (!)   

**Voir Anne Askew, brûlée vive pour "hérésie" (lien).

3 commentaires:

  1. Dans l'ensemble cet article est très bien écrit et avec de bonnes informations.
    Cependant, votre comparaison entre Catherine D'Aragon et Anne Boleyn n'est pas des plus honnêtes.
    Anne avait environ 15 ans de moins que Catherine.
    De plus vous comparez une photo de Catherine de 1501 (Catherine n'avait même pas 20 ans, Anne n'était sans doute pas née) avec une photo d'Anne qui date de 1536 alors que cette dernière avait tout juste la trentaine et Catherine 50 ans.
    Qu'est-ce qui a attiré le roi ? La jeunesse.

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  2. Oui c'est vrai, mais il reste qu'elle était considérée -jeune- comme la plus jolie des femmes de Henry ou du moins la plus conforme aux canons de l'époque. Ses portraits semblent exact si on les compare à ceux de sa mère Isabelle, elle aussi considérée comme séduisante, tant la ressemblance des deux femmes saute aux yeux. Quant à Anne, on a peu de représentations d'elle, sauf la pièce de monnaie -abîmée- qui a été frappée de son vivant et peut-être le portrait de Hever, c'est pourquoi c'est avec les deux que j'ai essayé de faire un montage pour reconstituer son vrai visage, sans y parvenir, certainement.

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