Isadora Duncan, MA VIE (lien)
"Je
sentis un coup violent dans le milieu du dos, comme si quelque chose se
broyait en moi, puis une douleur épouvantable comme si l'on m'avait
enfoncé une vrille dans la colonne vertébrale pour la faire éclater. La
torture commençait, comme si j'eusse été une victime aux mains de quelque bourreau
impitoyable et tout-puissant. Une crise finissait à peine qu'une autre
commençait. On peut dire ce qu'on veut de l'inquisition espagnole, aucune femme
qui a eu un enfant ne saurait la redouter.
Sans trêve, sans arrêt, sans pitié, cet invisible et cruel génie me tenait dans
ses griffes, me déchirait les os et les nerfs. On dit que de telles
souffrances sont vite oubliées. Tout ce que je puis répondre c'est qu'il me
suffit de fermer les yeux pour entendre à nouveau mes cris et mes plaintes.
C'est une barbarie inouïe, une barbarie de sauvages que les femmes soient
encore forcées de supporter des tortures aussi monstrueuses. Il faut que
cela cesse. Il est tout simplement absurde qu'avec notre science moderne
l'enfantement sans douleur ne soit pas la règle. C'est une chose aussi
impardonnable que si les médecins opéraient une appendicite sans anesthésie. Il
faut vraiment que les femmes aient une patience ridicule ou un manque complet
d'intelligence pour accepter un instant cet effroyable massacre
d'elles-mêmes. Pendant deux jours et deux nuits, cette douleur
indescriptible continua, et le troisième jour au matin ce médecin imbécile
sortit une immense paire de forceps et sans anesthésie d'aucune sorte,
mit un
comble à cette boucherie. A moins que d'être attaché sur une voie, avant le
passage d'un train, je n'imagine rien de comparable à ce que j'ai
souffert. Ne me parlez pas du mouvement féministe ou des suffragettes tant
que les femmes n'auront pas mis fin à cette souffrance inutile et
n'auront pas
exigé que l'accouchement, comme toutes les autres opérations, se fasse sans
douleur. Quelle superstition insensée s'oppose à cette mesure ? Quelle
intention criminelle est à son origine?"
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